home > Films > Love Streams (1984)
Love Streams (1984)
de John Cassavetes
publié le mercredi 1er février 2017

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°165, mars 1985

Sélection du Festival de Berlin 1984

Sorties les mercredis 9 janvier 1985 et 1er février 2017.


 


Rendre compte d’un film de John Cassavetes n’est pas chose aisée, particulièrement dans le cas de Love Streams, qui apparaît d’abord comme un flot d’images qu’on voudrait retrouver pour en goûter à satiété toute la fluidité.

La dernière œuvre de l’un des quelques cinéastes à part du cinéma américain représente, en effet, la quintessence de son art. Cependant, loin d’être un film manifeste du style de Cassavetes, il serait plutôt de la fusion de tous les éléments qui constituent son univers.

Gloria marquait un détour par le récit, par le biais d’une histoire construite avec un certain classicisme.
Love Streams revient aux sources du premier Cassavetes. On y retrouve la présence de personnages, de situations qui privilégient l’instant, un présent dans lequel s’entrecroisent des errances. Le film met en place des histoires parallèles, celle de Robert (John Cassavetes) et celle de Sarah (Gena Rowlands.)


 


 

Lui, écrivain, qu’on ne voit jamais écrire, erre de bar en bar, de femme en femme, à la recherche des secrets de l’amour et de la vie. Quête vaine par l’impossibilité ou plutôt le refus de se fixer.
Elle, divorcée, semble partir dans une dérive qui la conduit aux rives de la folie sans rien à quoi elle puisse se raccrocher.

Le film passe de l’un à l’autre et l’on sent comme un appel mystérieux entre ces deux solitudes avant qu’ils ne se retrouvent et que l’on apprenne, au détour du dialogue, que Robert et Sarah sont frères et sœurs alors qu’on pouvait les croire amants.


 

En définitive, ce détail compte peu dans la structure du film.
Ici la quête de l’amour s’avère être douloureuse et toujours fugace jusque dans la séparation finale. Ce qui transparaît relève avant tout du non-dit, du geste, du rythme de la mise en scène.

En cela, Cassavetes et Rowlands sont une fois de plus extraordinaires dans leur jeu. Comme dans tous ses films, Cassavetes utilise à plein les ressources de ses acteurs, les siennes aussi, pour faire passer de façon complètement physique sa vision des êtres et de la vie.

Love Streams met à nu la solitude de deux funambules marchant sur une corde raide suspendue au dessus de nos têtes.
Rowlands, bien que lestée de tout son passé mal cicatrisé, parvient mal à conserver son équilibre. Elle ne cesse de trébucher malgré les valses et les animaux qu’elle traîne à sa suite.
Avec son sourire d’archange blessé, Cassavetes plane dans un monde irréel, celui de ses rêves noyés d’alcool.
Tout le charme du film repose sur ce balancement entre la pesanteur d’une vie dans laquelle les personnages sont empêtrés et la grâce à laquelle ils aspirent.
La fluidité de la mise en scène se nourrit de ces hésitations.


 

Cassavetes retrouve la liberté de ton de ses meilleurs films, passant sans crier gare de la comédie aux scènes pleines d’une tension exacerbée dont il a le secret.
Bien sûr, on retiendra la performance de Gena Rowlands et, plus particulièrement, le morceau de bravoure au cours duquel elle essaye de faire rire son mari et sa fille.
Tout Cassavetes est contenu dans ces moments intenses entre rire et douleur, dans l’apparente nonchalance du rythme. Chez lui, chaque séquence surprend avec des passages sans transition du réel au rêve, comme s’il s’agissait d’un seul et même univers.

L’effet de surprise permanent tient aussi aux multiples personnages qui apparaissent toujours originaux, et qui font sans cesse rebondir le film.


 

Robert offre à la mère d’une chanteuse noire qu’il cherche à conquérir une soirée au cours de laquelle elle retrouve les élans de sa jeunesse.


 

L’arrivée de son fils, qu’une de ses ex-femmes lui laisse le temps d’un week-end, donne lieu à des séquences superbes. Il le traite comme un adulte, le rabrouant et riant avec lui, presque dans le même instant.

Cette liberté de ton pourrait parfois donner l’impression d’une brillante improvisation autour du duo Cassavetes-Rowlands.


 

En fait, on sent une maîtrise parfaite des acteurs, de l’écriture. Peut-être est-ce par la double position d’acteur-metteur en scène que Cassavetes parvient à un tel résultat, nous amener à avoir un double regard sur le film.
Nous sommes à la fois émerveillés par le style et tout près des personnages. Un regard extérieur et intérieur qui constitue un moment rare au cinéma.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°165, mars 1985

Love Streams. Réal, sc : John Cassavetes d’après la pièce de Ted Allan ; ph : Al Ruban ; mu : Bo Harwood ; mont : George C. Villaseñor. Int : Gena Rowlands, John Cassavetes, Diahnne Abbott, Seymour Cassel, Margaret Abbott (États-Unis, 1984, 131 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts