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Homme aux mille visages (l’) (2016)
de Alberto Rodriguez
publié le mercredi 12 avril 2017

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 12 avril 2017


 


John Le Carré avait montré dans Le Tailleur de Panama (1996), adapté au cinéma par John Boorman, la reconversion de l’agent secret contemporain, passé des clivages militaires à l’affairisme, de la défense de l’intérêt général d’un pays à celui d’un groupe mafieux ou de lui-même, autrement dit du (service) public au privé.

Alberto Rodriguez s’inscrit dans cette veine ironique, quelque peu cynique, avec son film L’Homme aux mille visages, qui, malgré le titre, ne traite pas d’un transformiste à la Fregoli agissant sous les feux de la rampe, mais du contraire, d’un homme de l’ombre, se livrant à toutes sortes d’intrigues et d’activités louches, Francisco Paesa, personnage, certes douteux, mais qui a bel et bien existé et coulerait des jours tranquilles, à Paris - pourquoi pas ?


 

Malgré le peu de grain à moudre laissé aux personnages féminins, sommairement caractérisés et castés (comme si c’était inhérent à ce genre cinématographique hybride : on pense ici au Ghost Writer de Polanski) et quelques invraisemblances amusant la galerie (facilité de parking déconcertante dans notre capitale, sous l’ère de MM. Chirac et Tiberi ; peinture de comparses aussi patauds que les Pieds-nickelés ; invitation à dîner de la victime consentante, tout aussi naïve, Luis Roldán, ancien directeur de la Guardia civil, en fuite avec son magot prélevé sur les deniers de l’État à... 19h30, horaire impensable, s’agissant d’Espagnols !), le film est une excellente surprise.


 

Sans qu’une goutte de sang ou presque soit versée (un coutelas picotant la gorge de l’associé du protagoniste dans une ruelle montmartroise constituant la scène la plus grandguignolesque), parfaitement photographié par Alex Catalán (qui avait assuré la qualité des prises de vue de La isla mínima), monté au cordeau, agrémenté d’une musique entretenant le suspense, joué de façon naturaliste ou particulièrement naturelle par Eduard Fernández, Carlos Santos et José Coronado, ce thriller nous tient en haleine, deux heures durant.


 

La suspension de jugement de la part de l’auteur sauve des personnages que la justice et l’opinion publique se sont chargées de condamner : l’un, piégé par “l’homme aux mille visages”, à la peine exemplaire de trente ans de réclusion, l’autre, son “judas”, à l’éternelle errance.

Ici, aucune leçon de morale, comme dans les films politiques italiens des années 70 ou ceux, “engagés” tournés en France par un Boisset ou un Chabrol. Pas de maniérisme, non plus. Ni effet en trop (violence explicite à l’américaine), ni en moins (minimalisme melvillien). Une fiction, là où le documentaire eût été plus parlant, sinon plus vrai.

Humblement, sur le mode de l’entertainment, Rodriguez nous touche par son analyse de la corruption qu’illustre ce cas d’école spectaculaire, dépassant l’entendement. Loin d’être unique, la situation évoquée nous amuse autant qu’elle nous inquiète.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

L’Homme aux mille visages (El hombre de las mil caras). Réal : Alberto Rodriguez ; sc : Alberto Rodriguez & Rafael Cobos Lopez, d’après Manuel Cerdan Alenda ; ph : Alex Catalan ; mont : José M.G. Moyano ; mu : Julio de la Rosa. Int : Eduard Fernández, Carlos Santos, José Coronado, Marta Etura Luis, Alba Galocha, Philippe Rebbot (Espagne, 2016, 122 mn).

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