home > Films > Noma au Japon (2017)
Noma au Japon (2017)
de Maurice Dekkers
publié le mercredi 26 avril 2017

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n° 380, mai 2017

Sortie le mercredi 26 avril 2017


 


Pour une fois, le titre originel, Des fourmis sur une crevette, quoique long, paraît plus piquant, plus recherché, mieux approprié que le factuel Noma au Japon qui, d’emblée, nous vante et vend une popote en vogue située dans un entrepôt industriel copenhagois proche de l’utopie Christiania.

Noma, malgré sa connotation maladive pouvant évoquer la dévoration du visage, sonne bien et est facile à mémoriser, quelle que soit la langue - un peu comme Dada.

Noma dénote le nom, propre ou commun, ainsi que la notion de nomadisme.
C’est d’un voyage qu’il est question dans ce film signé du réalisateur de télévision Maurice Dekkers. D’un voyage d’affaires, professionnel et promotionnel, plus que d’agrément.


 

Le talentueux cuisinier danois René Redzepi, chef d’une brigade de trentenaires dévoués corps et âme à une cause sans rebelle - celle de la bonne et chic chère -, s’installe durant six semaines à Tokyo, dans le cadre d’une résidence (ou pop up) commanditée par le palace local du groupe hongkongais Mandarin oriental.
Il se donne pour tâche de renouveler la carte du restaurant panoramique de l’hôtel, tout en se ressourçant, entouré de ses lieutenants. Cette belle équipe part en goguette explorer en tous sens la nature, en découvrir les fruits, et ceux que recèle la forêt, le sous-sol et l’océan. À la manière d’un Marc Veyrat, ils cueillent et goûtent aux saveurs des plantes sauvages et en prévoient l’usage et les infinies combinaisons.


 

Le film oscille constamment entre le documentaire le plus traditionnel, l’immersion, caméra à l’épaule, dans un milieu clos, au 3e sous-sol d’une tour, le publireportage et l’émission de téléréalité culinaire - heureusement, sans les coupures pour les réclames qui généralement vont avec !
Assez paradoxalement, les prototypes de ces programmes ont été imaginés en... Angleterre, que ce soit le MasterChef (1990) de la BBC ou des productions de Channel 4 comme The Naked Chef (1998) de Jamie Oliver et le (Gordon) Ramsay’s Kitchen Nightmares (2004), devenu chez nous Cauchemar en cuisine.
Cette invasion relève du pronunciamiento et passe, comme souvent, par le langage. Ou, plus exactement, par la langue. Le français semble dès lors banni, que ce soit dans la communication entre cuistot et marmitons ou dans l’argot de métier - subsistent ici et là quelques vestiges de l’âge d’or du banquet post-socratique à la française exalté par Brillat-Savarin, comme le terme de "glaçage", appliqué au canard grillé, préféré à celui, chinoisant, de "laquage", ainsi que le prénom du chef.


 

Il convient de relativiser la nouveauté d’un film qui s’inscrit dans une série allant du Repas de bébé (1895) à Noma My Perfect Storm (2015) - un documentaire glorifiant déjà le fameux René –, en passant par The Big Swallow (1901), Le Trou normand (1952), La Cuisine au beurre (1963), Le Grand Restaurant (1966), La Grande Bouffe (1973), L’Aile ou la cuisse (1976), La Soupe aux choux (1981), Tampopo (1985), Le Festin de Babette (1987), Salé, sucré (1994), Vatel (2000), Ratatouille (2007), El Bulli (2011), An (2015).
On en passe et des meilleurs puisque ces films constituent un genre en soi, légitimé par la section “Culinary Cinema” de la Berlinale.


 

Sans doute faut-il aussi nuancer la créativité du cuisinier danois, considéré comme le "meilleur du monde" par la revue, elle aussi britannique, Restaurant (sponsorisée par San Pellegrino et Nestlé), gratifié de deux étoiles par le petit livre rouge au bibendum, plus écolo sans doute qu’un Ferran Adria, moins révolutionnaire ou postmoderne que celui-ci - dans une ligne “nouvelle cuisine”. À signaler que certaines peuvent heurter la sensibilité du public, du moins des végétariens et des membres de la SPA (cf. la scène d’égorgement de tortues ou celle des crevettes à demi-décarcassées vivantes).

Ceci dit, le film est agréable à voir.
Les effets de suspense, de montage parallèle, de flash-back, de monologue en voix off, intensifiés par une B.O. de thriller, se gèlent soudain.
Le finale, sous forme de séance diapos, présente le résultat escompté : un ordonnancement d’une dizaine de plats inédits, tous plus beaux les uns que les autres.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n° 380, mai 2017

Noma au Japon : (ré)inventer le meilleur restaurant du monde (Ants on a Shrimp). Réal, sc : Maurice Dekkers ; ph : Hans Bouma ; mont : Pelle Asselbergs ; mu : Nicolas Jaar, Halfdan E, Shigeru Umebayashi. Int : René Redzepi (Pays-Bas, 2017, 93 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts