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Diabolo menthe (1977)
de Diane Kurys
publié le mardi 15 août 2017

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°108, février 1978

Prix Louis-Delluc 1977

Sorties les mercredis 14 décembre 1977 et 16 août 2017


 


Premier de l’an des comédiennes : en même temps que Coline Serreau, une autre actrice de théâtre, Diane Kurys, 28 ans, fait son entrée en scène de réalisatrice.
Le succès public assez fracassant de Diabolo menthe - exceptionnel pour un premier film - incite d’abord à la réserve ; non pas pour le succès en lui-même, mais parce que le sujet permettait de jouer sur des ressorts un peu faciles qui pourraient l’expliquer : amusement aux bons mots et aux bons tours d’une petite fille, attendrissement à l’éducation sentimentale d’une très jeune fille. Il est probable que Gaumont, pas plus philanthrope qu’il faut, avant de donner à Diane Kurys des chances également exceptionnelles pour un premier film, a su faire ses comptes. Mais tout indique que elle, elle a simplement fait son film.


 


 

C’est vraiment son film, tissé de ses souvenirs de l’année 63 où elle était élève au lycée Jules-Ferry. Et la fidélité à ces souvenirs donne le ton d’authenticité : des notations rapides, discontinues, un côte-à-côte de moments intenses qui ont marqué et d’épisodes un peu insignifiants qu’on se rappelle on ne sait pourquoi, l’absence de progression dramatique, tout dans le style même, semble refléter le mécanisme de la mémoire.
Au centre du film, deux filles, deux sœurs : Frédérique, 15 ans, élève de seconde, et Anne, 13 ans, en quatrième. Que l’autobiographie se trouve ainsi dédoublée, que la jeune fille en fleur ait toujours près d’elle la jeune fille en bouton, permet un raccourci sur l’éveil à l’amour, sur l’aspiration à la vie adulte.


 


 


 

Il met aussi en valeur cette relation de condescendance des "grands" aux "petits" qui est une réalité (un peu déplaisante) de cet âge.
Qu’il s’agisse de deux sœurs conduit à approfondir le thème des rapports avec les parents (divorcés dans ce cas) : rapports ambigus où l’affection (on pense à la jolie scène de l’anniversaire de la mère) n’empêche pas une fondamentale incompréhension qui nous est discrètement mais fortement montrée.
Mais c’est le lycée qui est le cadre principal de l’action. Le lycée, c’est d’abord l’endroit où l’on retrouve les copines. C’est aussi celui où l’on subit les profs. En nous promenant de classe en classe, Diane Kurys nous amuse avec des croquis de profs connes et avec des spectacles de chahut sensas.


 

Rien de commun, et quoiqu’en disent certains, avec Zéro de conduite (1933), il manque ici la colère, et le "Merde" claironné à tous les échos du lycée par une fille qui veut se faire mettre à la porte n’a pas l’allure de riposte vengeresse qu’avait le "Monsieur le principal, je vous dis merde" de l’élève Tabard dans le film de Jean Vigo.
Il est difficile de savoir si cette caricature sans nuance reproduit une vision subjective déformante de l’enfant ou si elle est un appel du pied un peu complaisant vers le public.
Beaucoup plus sérieux, le constat du désintérêt royal que manifestent ces filles pour un enseignement passéiste, pétrifié, coupé de la vie.


 


 

Il est intéressant qu’il soit mis en valeur précisément dans le cas de professeurs qui ne sont pas tournés en ridicule, le prof de sciences nat (qui fait passer des pierres que personne ne regarde) et le prof d’histoire (qui, constatant que ses élèves se fichent des partis à la Convention, fait une tentative pour parler avec elles des événements politiques présents) : ce qui est en cause, cette fois, c’est le système et non les personnes. Ce système exclut (hier encore plus qu’aujourd’hui) "la politique au lycée".
Les moments les plus attachants de Diabolo menthe sont précisément ceux qui évoquent l’éveil à la conscience politique de ces lycéennes de 1963. Ainsi, le témoignage bouleversé de cette fille de seconde qui, un peu par hasard, a vu Charonne…


 

Dans ces moments-là, le ton devient plus grave, le sourire s’efface, car ce premier engagement n’est pas un jeu : il signifie déjà des persécutions au lycée (Frédérique est exclue trois jours pour avoir porté le badge anti-atomique et organisé au lycée une collecte politique), l’isolement parmi des camarades ricanantes ("Moi, j’y connais rien", "Moi, je voterai comme mon mari") et un conflit avec les partents complices de l’administration du lycée (la mère apprenant l’exclusion de Frédérique : "Je vous remercie beaucoup, Monsieur le censeur").


 

On aime que cet éveil-là soit donné par Diane Kurys comme non moins important que l’éveil à l’amour : Frédérique, qui n’a pas réagi aux intrusions de sa mère dans sa vie privée et a accepté de déchirer (en pleurant) les lettres de son amoureux ("des lettres qui ne sont pas de ton âge") riposte avec fierté, avec agressivité même, aux injonctions de cette mère de revenir sur son engagement politique.
Décidément, Diabolo menthe refuse la facilité et s’écarte des chemins battus.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°108, février 1978


Diabolo-menthe. Réal, sc : Diane Kurys ; ph : Philippe Rousselot ; mont : Joële Van Effenterre ; mu : Yves Simon ; déc : Tony Egry & Laurent Janet ; cost : Thérèse Ripaud. Int : Éléonore Klarwein, Odile Michel, Anouk Ferjac, Michel Puterflam, Yves Rénier, Robert Rimbaud, Marie-Véronique Maurin, Corinne Dacla, Coralie Clément, Valérie Stano, Anne Guillard, Véronique Vernon, Dora Doll, Françoise Bertin, Jacqueline Doyen, Tsilla Chelton, Nadine Alari, Marthe Villalonga, Dominique Lavanant (France, 1977, 100 mn).



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