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Une femme douce (2017)
de Sergei Loznitsa
publié le mercredi 16 août 2017

par Patrick Saffar

Jeune Cinéma n° 381, été 2017

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2017

Sortie le mercredi 16 août 2017


 


Sergei Loznitsa a beau dire que son dernier film s’adresse en premier lieu au public russe, Une femme douce ne nous toucherait pas autant s’il ne revêtait en quelque manière un caractère d’universalité.

Ce caractère, il le doit en premier lieu à son dispositif formel : plutôt que de suivre pas à pas cette jeune femme qui, détentrice d’un colis destiné à son mari emprisonné dans une région reculée de Russie, va chercher à prendre contact avec lui, Loznitsa s’attache à déporter son héroïne vers le bord du cadre, voire à la reléguer hors champ, afin de privilégier une espèce de chœur permanent qui devient le centre même du propos davantage qu’il ne commente une action désertée.


 


 

Ce chœur, composé de trafiquants, passeurs et autres figures inquiétantes, devient un cadre envahissant l’espace dédié au visage impassible et buté de la jeune femme qui, de fait, dans la scène (quasi) finale du "banquet", disparaîtra littéralement derrière deux battants aux rebords dorés.

L’absence de psychologie trouve son équivalent dans l’absence (ou presque) de champs-contrechamps.
On a beaucoup évoqué Dostoïevski (dont le film adapte un récit qui avait déjà inspiré Bresson) et Gogol à propos de Une femme douce.
Mais on songe évidemment à un Kafka chez lequel une Prison se serait substituée au Château, tant il semble évident que la femme du détenu ne se heurte pas à de simples tracasseries administratives.


 

Le film glisse ainsi progressivement du réalisme de la vie rurale vers une ambiance onirique, jusqu’à ce que le cauchemar soit donné comme tel (passée une terrifiante scène de viol collectif) lorsque l’héroïne se réveille dans une salle de gare encombrée.
Si ce n’est que l’ensemble des occupants y est en train de dormir…


 

La réalité, semble nous dire Loznitsa, est faite des cauchemars des peuples assoupis.
Nul doute que cela ne concerne pas que la Russie.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n° 381, été 2017

Une femme souce (Krotkaya). Réal, sc : Sergei Loznitsa ; Ph : Oleg Mutu ; mont : Danielius Kokanauskis. Int : Vasilina Makovtseva, Marina Kleschcheva, Lia Akhedzhakova, Valeriu Andriuta (France-Allemagne-Lituanie-Pays-Bas, 2017, 143 mn).

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