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Prix du succès (le) (2017)
de Teddy Lussi-Modeste
publié le mercredi 30 août 2017

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 30 août 2017


 


Le rapport au succès et le rapport à l’échec (désir et peur généralement mêlés) flirtent toujours avec une obscure pathologie quasi inhérente à toute les consciences des humains qui vivent en société, tout le monde sait ça.

Rien que de très normal, et nul besoin d’être parano ou schizo ou whatever pour le vivre soi-même ou le voir s’épanouir chez ses congénères. En effet, cela vient simplement de ce que les références des dits succès ou échecs sont flottantes et extrêmement variables. Comment savoir où on est, où on en est, face à un océan en mouvement et tout en relativité ?

Même ceux à qui appartient le monde doivent parfois être sujets au doute (1), et il est inconcevable que les notions d’imposture, d’illégitimité ou de mérite leur soient totalement étrangères, refoulées, mais taraudantes.
La trahison, c’est légèrement différent, elle est inévitable dès qu’on bouge un peu. Pour la surmonter, il suffit d’en faire de la littérature (à la française) ou de l’adosser à une de ces success story à codes obligés, à l’imitation de nos amis du Far West, qui, elles, sont toujours des voies de vertu nickel avec happy ending. (2)

Pour ceux à qui le monde n’appartient pas (du tout), un chemin de réussite sociale implique double peine et coût double. (3)
Dans Le Prix du succès, la question n’est pas comment "réussir", mais, une fois qu’on est "en route vers la gloire", quand ça s’accélère et qu’on n’a pas de temps pour une transition douce, comment se tenir avec les autres, ceux qui poussent, ceux qui tirent, ceux qui regardent, ceux qu’on laisse derrière soi, ces "familles" qui ancrent et qui plombent à la fois.
Comment affronter les "avatars" diaboliques que sont la jalousie, l’envie, la frustration de la coulisse, l’abandon de ceux qu’on aime.


 


 


 

Teddy Lussi-Modeste est un cinéaste gitan et le sujet le turlupine.

Dans son premier film déjà, Jimmy Rivière (2011), il abordait, par la bande, ces questions existentielles majeures. Pourquoi une difficile conquête devrait-elle se payer ? Combien un cadeau du ciel devrait-il coûter ? De quelle dette s’agit-il et qui est le créancier ? Peut-on se juger à sa chance ?

Brahim (Tahar Rahim), qui vient de la banlieue, a la langue bien pendue et commence à être très applaudi sur les planches. C’est Mourad son frère (Roshdy Zem) qui l’a accompagné depuis les galères des débuts.


 


 

Ce succès qui leur arrive, ils l’apprécient : entre frime de la notoriété et fêtes arrosées, il y a de quoi perdre la tête. Suffit de cloisonner avec le reste de la famille périphérique pour avoir la paix de l’âme. Mais Mourad dérape dans les paillettes et ne sait plus bien qui est la vedette. De frère et ami fidèle, il ne sait pas comment devenir agent professionnel, dans ce monde inconnu où les critères et les enjeux n’ont plus rien à voir avec le sentiment, il ne trouve pas sa place. Pour avancer, Brahim doit changer d’agent.


 

Pas grand-chose de neuf, les situations ressemblent un peu à des clichés, mais c’est bien posé.
Et puis, insensiblement, il semble que le scénario s’essouffle.
Il s’enlise dans des détours un peu lourds - la violence du frère abandonné, la mort du père. Il s’éparpille en images parfois indigestes de désordres festifs. L’histoire d’amour entre Brahim et Linda (Maïwenn) est négligée alors qu’elle aurait pu équilibrer la charpente. Enfin la réconciliation ultime ressemble à une obligation faite à contrecœur. Du coup, curieusement, ce film court (moins de 90 mn) paraît long et lent et l’on s’en étonne.


 

Est-ce bien le scénario qui pèche ? Rébecca Zlotowski nous avait épatés avec Grand Central (2013). Difficile aussi d’incriminer la réalisation ou les acteurs, tous excellents.
Alors quoi, d’où vient cette sorte de maladresse latente ?

Une hypothèse se profile.
"Inspiré de faits réels", la phrase est absente du générique, mais le scénario a emprunté indubitablement à certains personnages du show-biz.
D’ailleurs Teddy Lussi-Modeste n’en fait pas mystère qui cite quelques-uns de ses inspirateurs : Jamel Debbouze, la tenniswoman Aranja Sanchez, Amy Winehouse, ou Faudel (4).
Peut-être que ces fameux "faits réels" - qui sonnent trop souvent comme des justifications par ailleurs et qui n’apparaissent pas nommément ici - sont encore trop encombrants, et qu’il faudra, à Teddy Lussi-Modeste, un troisième film, pour se délester vraiment.


 

On a confiance, ce second film, déjà, trouvera son public.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Il y a évidemment de tragiques (et célèbres) exceptions, et ceux qui ne doutent jamais de rien parviennent parfois aux plus hautes fonctions. Hélas. On relit Descartes et on va boire un coup.

2. A Star is Born de George Cukor (1954) est un chef d’œuvre de l’histoire du cinéma aussi parce qu’il raconte, comme rarement, l’envers douloureux de la traditionnelle success story, l’un comme l’autre relevant de la fatalité.

3. Certains - mal connus et c’est grand dommage -, avaient fait de cette question "psychologique" une question politique : à la suite du jeune Albert Thierry (1881-1915), ils "refusaient de parvenir". Mais il s’agissait d’un autre champ social que celui du divertissement, au statut éminemment louche et difficile à loger.

4. Faudel Belloua & Sophie Blandinières, Itinéraire d’un enfant de cité, Éd. Michel Lafon, 2008.

Le Prix du succès. Réal : Teddy Lussi-Modeste ; sc : T.L-M. & Rebecca Zlotowski ; ph : Julien Poupard ; mont : Julien Lacheray ; mu : ROB. Int : Tahar Rahim, Roschdy Zem, Maïwenn, Grégoire Colin, Sultan, Ali Marhyar, Camille Lellouche, Saïda Bekkouche, Meriem Serbah, Salma Lahmer, Kader Kada, Malika Birèche, Hocine Choutri, Steve Tientcheu, Walid Afkir (France, 2017, 92 mn).

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