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Sautet, Claude (1924-2000)
Portrait 1999
publié le mardi 15 juin 1999

De l’adaptabilité (1999)

par Sandra Marti
Jeune Cinéma, n°255, mai-juin 1999


 


Les 26 et 27 mars 1999, Claude Sautet était l’invité de la cinémathèque de Nice qui, pour l’occasion, a projeté l’ensemble de l’œuvre du cinéaste.

Ceci mérite d’être souligné quant on sait la difficulté que l’on a à revoir ses films en salle. Faire ici un compte rendu de ces journées serait réducteur pour parler de ce cinéaste passionné. C’est pourquoi s’est dessinée l’idée de traiter les rapports qu’a pu avoir Sautet avec les personnes qui constituent les différents maillons indispensables à l’élaboration d’un film. (*)

"Moi je suis poisson, je m’adapte à toutes les situations", nous dit Claude Sautet en souriant au détour d’une conversation.

Voilà une petite phrase anodine qui, en nous révèlant un des aspects du caractère du cinéaste, peut aussi nous éclairer sur l’appréhension de son œuvre.

Car des concessions, en portant alternativement les casquettes d’assistant / réalisateur-scénariste / dialoguiste / adaptateur, Claude Sautet en a beaucoup fait.
Sa fonction d’assistant sur les films de André Cerf, (Le Mariage de Mlle Beulemans et Le Crime du Bouif) lui fait toucher du doigt les problèmes que peuvent rencontrer certains réalisateurs avec une production tyrannique, et comment ils peuvent avoir du mal à résister. Claude Sautet durant ces années d’assistanat apprend à ressemeler les scénarios et sert parfois de médiateur entre ces metteurs en scènes frustrés et une production trop exigeante.

Les conditions de tournage sur Le fauve est lâché illustrent parfaitement la grande souplesse du (futur) réalisateur.

À la suite d’un contentieux entre Lino Ventura et Maurice Labro, Sautet, alors assistant sur le film dont il a aussi écrit en partie le scénario, remplace, avec son accord, Labro à la réalisation, et parvient, en terminant le film, à lui donner une touche personnelle : "Il restait quinze jours à tourner. Surtout des scènes d’extérieurs où j’essayais d’introduire un peu plus de lyrisme dans le mouvement. C’est là, bien sûr, que je me souviens de la leçon des polars américains, cette façon opaque et physique de faire jouer et de filmer. [...] Je ne suis pas mécontent de ce que j’apporte. Le film a du succès et je commence à être considéré dans mon travail."

À l’époque, Claude Sautet veut surtout mettre en application tout ce qu’il a appris dans les séries B américaines.


 

Le roman que lui donne à lire Lino Ventura, Classe tous risques, semble parfaitement s’y prêter. Avec l’appui de Ventura et de Jacques Becker, il se lance dans l’aventure. Après un important désaccord avec les producteurs, Sautet négocie et accepte de prendre la petite amie (Sandra Milo) du coproducteur italien (Morris Ergas) à la condition qu’on le laisse tourner le scénario tel qu’il l’a travaillé avec José Giovanni - il ne choisira pas non plus Sylva Koscina qui jouera dans son deuxième film, L’Arme à gauche. La concession est acceptable d’autant que Sautet n’a pas encore commencé à traiter ce qui reviendra comme un leitmotiv dans tout le reste de son œuvre : les rapports hommes-femmes.


 

En effet, avec Les Choses de la vie , le réalisateur, pour la première fois, obtient les acteurs qu’il pressentait et rompt avec le film de genre.

Une nouvelle motivation, plus exigeante, vient prendre le relais : filmer des problèmes de couple et surtout un accident de voiture à peu près impossible à réaliser. Claude Sautet sur les lieux mêmes du tournage, à cause de (ou grâce à) Bobby Lapointe (incapable d’être naturel quand la caméra était trop près) et, pour des raisons techniques, est obligé de tourner avec de longues focales. Le tournage de l’accident, mélange d’ingéniosité (pour le tonneau, on a en fait scier le capot de la voiture et mis ce qu’il en restait dans un tonneau que l’on faisait rouler le long d’une pente légère, la seule difficulté étant de filmer sans sortir du champ), et de prouesses techniques, est une totale réussite même si l’équipe se fait parfois quelques peurs lors du visionnage des rushes (l’éjection de Piccoli de la voiture est tellement rapide qu’on ne la voit pas à la première vision).

Alors que Les Choses de la vie apporte la consécration à son réalisateur (Prix Delluc et gros succès commercial), la préparation de son film suivant Max et les ferrailleurs est déjà bien avancée.
Ce dernier se fait sans désaccord (apparent) avec les producteurs pendant le tournage et tous les acteurs pressentis ont répondu présents. Claude Sautet dira en parlant de Max : "C’est mon film préféré. [...] pour une fois, je ne vois rien à y retrancher, rien à y ajouter..."


 

Les Choses de la vie marque le début de l’aventure de toute une équipe technique et artistique, avec tout ce que cela peut représenter d’enthousiasme, d’amitié mais aussi de pesanteur avec le passage du temps.

À ce propos, le réalisateur décrit à Michel Boujut les problèmes qu’il a rencontrés pour tourner la scène de l’embourbement de la voiture dans Mado  : "Il s’agissait d’un conflit avec l’équipe de la prise de vue, où naturellement Boffety n’était pas impliqué. Tous ces garçons avaient commencé avec moi dans Les Choses de la vie. Ils avaient été très ardents dans les premiers films, toujours là une heure à l’avance. [...] Cette fois, alors que le film avait du retard et que le tournage de nuit coûtait très cher, ils ont déclenché une grève... pas contre moi, mais dans un contexte de lutte contre les producteurs en général. Ça m’a vraiment déprimé".

Claude Sautet, bien que cela lui soit très difficile, ne les reprendra pas pour le film suivant. À cela s’ajoutent des problèmes d’après tournage, lorsque le réalisateur s’aperçoit que le producteur, André Génovès, avait prévendu le film à l’étranger sur le couple Romy Schneider / Michel Piccoli, alors que l’actrice ne fait que de courtes (quoique très émouvantes) apparitions. De rage, Claude Sautet coupe une scène, celle où Michel Piccoli conduit Romy Schneider à la clinique pour sa désintoxication.

Entre 1969 et 1983, le réalisateur tourne six films.
En prenant régulièrement rendez-vous avec ses deux scénaristes fétiches, Claude Néron et Jean-Loup Dabadie, Sautet enchaîne les réussites, mais sent que progressivement, il "finit par tomber dans l’auto-attendrissement".

Pour Un mauvais fils , il demande à Jean-Paul Török de collaborer au scénario et travaille avec une nouvelle génération d’acteurs.
Il fait appel à Brigitte Fossey, et Romy Schneider vit cela comme une trahison : "Romy avait bien sûr pensé jouer le rôle. Mais ça m’avait tout de suite semblé impossible. D’abord parce que j’imaginais quelqu’un de plus jeune, ensuite, parce que son statut de star, alors à son apogée, allait déporter l’axe du film. Quand je le lui ai expliqué, cela a évidemment créé une tension entre nous, une tension en moi. Presque comme une rupture. Et ça n’a pas manqué de me freiner dans l’écriture".


 

Garçon , échec commercial, marque vraiment la fin d’une époque.
Yves Montand qui avait accepté de jouer le rôle, mais qui, entre temps, s’était fait une "tête de présidentiable" demande, sur les conseils de Simone Signoret (c’est elle qui lui avait déjà suggéré d’accepter le rôle de César dans César et Rosalie), qu’Alex soit plus qu’un simple garçon.
Sautet et Dabadie, qui s’étaient intéressés à la relation qui unissait Jacques Villeret et Montand, voient autant de leur scènes modifiées, ce que Dabadie supporte mal. Sautet décide alors de développer les scènes de brasserie où Montand est à l’aise. C’est une manière pour lui de laisser un témoignage sur cette profession qui, peut-être, aura disparu (en tout cas aura certainement évolué) dans quelques années, et qui donne au film ses plus beaux moments.

Les producteurs, qui voulaient absolument Montand, ont accepté beaucoup des volontés de l’acteur, qui modifient par trop le scénario. C’est un des films que Claude Sautet aime le moins. Et on peut penser qu’avec lui, il a franchi une frontière avec laquelle il n’avait jamais même flirté auparavant : Garçon, avec toutes ses concessions, ne lui permet pas de filmer d’une façon qui lui conviendrait, ce qui n’avait pas été le cas pour les films précédents. Le nouveau générique final, monté alors que le film est déjà sorti en salle (il rajoute en bout de pellicule une scène qui permet de revoir tous les garçons dans le rituel de la brasserie), rappelle que ce lieu est le sujet principal du film. Mais cette maigre compensation n’empêche pas de mettre un terme à une collaboration vieille de 14 ans avec Jean-Loup Dabadie.

Philippe Carcassonne, un des producteurs qui s’occupera du film suivant, libére le réalisateur d’une équipe avec qui d’ailleurs il semble qu’il pouvait difficilement aller plus loin sans courir le risque de se répéter.


 

Claude Sautet change pratiquement la totalité de son équipe, et négocie sans accident un important virage dans sa carrière.
Avec Quelques jours avec moi , Sautet, Jérôme Tonnerre, Jacques Fieschi traitent un type de personnage original et introverti. De même, chose tout à fait inédite, il semble que le réalisateur entretienne un rapport tout à fait nouveau avec ses producteurs, qui lui donneront à plusieurs reprises des conseils qu’il suivra. Philippe Carcassonne provoquera une rencontre avec Jean-François Robin qui deviendra son directeur de la photo dans Quelques jours avec moi et Nelly et Monsieur Arnaud, tandis que Jean-Louis Livi encouragera vivement Claude Sautet à écrire, dans Un cœur en hiver, la scène où Stéphane donne la mort à son ami - scène initialement prévue dans le script mais devant laquelle le réalisateur, pour avoir vécu une situation comparable, avait tendance à reculer.


 

Tantôt aidé par ses producteurs, toujours inspiré par ses acteurs qui (sans doute parce qu’ils se sentent aimés) lui donnent beaucoup, les films de Claude Sautet dépendent énormément des rapports humains que le réalisateur parvient à tisser avec les gens qui l’entourent.

Avec la réalité économique inséparable de la conception et de la réalisation d’un film, Claude Sautet a toujours su négocier tout en sachant rester intransigeant sur ses intimes convictions - les films suivant des succès laissant en principe plus d’autonomie face à un producteur qui fait confiance au réalisateur.
13 films en 35 ans de carrière, cela fait peu.

Mais c’est peut-être le prix à payer pour une œuvre rare, dont une seule vision ne peut suffire à épuiser l’analyse.

Sandra Marti
Jeune Cinéma, n°255, mai-juin 1999

* Toutes les citations proviennent du livre de Michel Boujut, Conversations avec Claude Sautet, Éd. Institut Lumière-Actes Sud, 1994.

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