Marc Dugain, écrivain et déjà réalisateur de quatre films, a adapté un roman de Chantal Thomas. C’est en lisant les Mémoires du duc de Saint-Simon que celle-ci a découvert cet incroyable échange de princesses entre la France et l’Espagne au 18e siècle, petite histoire au cœur de la grande. Presque un conte qui décrit les fastes d’une cour et les horreurs tramées dans le silence des palais.

En 1721, Philippe d’Orléans est régent de France.
L’exercice du pouvoir est agréable, il y prend goût. Surgit alors dans sa tête une idée, afin de mettre mettre fin à une guerre interminable : proposer à Philippe V d’Espagne un mariage entre Louis XV, alors âgé de 11 ans, et la très jeune infante, Anna Maria Victoria, 4 ans.

En outre, pour renforcer ses positions, il donnerait en épouse sa fille, Mademoiselle de Montpensier, au jeune prince des Asturies, futur héritier du trône. La réaction à Madrid est enthousiaste. L’échange des princesses a lieu au début de l’année 1722, en grande pompe, sur une petite île au milieu de la Bidassoa, frontière entre les deux royaumes.

C’est dans cette ambiance que le film commence, dans une lumière bleutée et contrastée due à Gilles Porte et des décors naturels dénichés en Belgique - le château de Beloeil, réplique parfaite de Versailles, le palais d’Egmont à Bruxelles, mais aussi, en pays flamand, le château de Gaasbeek, représentatif de l’art flamand d’influence espagnole, où ont été tournées les scènes de la cour de Philippe V.
Le film, très documenté, place ses personnages dans une sorte de huis-clos anxiogène : Philippe V (Lambert Wilson, saisissant) mystique et fou, Philippe d’Orléans (Olivier Gourmet), régent manipulateur et libertin, la célèbre princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV et mère du Régent, seule rescapée du Grand Siècle, jouée magnifiquement par Andréa Ferréol.

L’Échange des princesses, un peu différemment du livre, mais sans le trahir, puisque Chantal Thomas a participé au scénario, se focalise sur les quatre enfants qui ne sont que des marionnettes animées par le Pouvoir.
À commencer par le jeune Louis XV, roi à 5 ans, intronisé à 12 ans, qui avait perdu ses parents et ses frères, et s’avouait cerné par la mort, et qui se doit d’accepter le destin qu’on lui impose. Il en va de même pour la petite infante, qui joue encore à la poupée mais accepte de quitter la cour espagnole où sa marâtre, Elisabeth Farnese, ne l’aime guère. L’autre couple est un peu plus âgé : la fille du Régent part pour la cour d’Espagne contre sa volonté - mais le futur roi Luis va s’éprendre d’elle.

Chantal Thomas et Marc Dugain justifient le choix de donner une plus grande place à ces enfants méprisés, manipulés et mal-aimés (sinon par la Palatine ou leur gouvernante, Madame de Ventadour, interprétée par l’impeccable Catherine Mouchet).

Chantal Thomas précise que la situation, même si elle a quitté le politique, n’a pas vraiment changé : "Aujourd’hui, déclare-t-elle, on dit partout que leur bonheur est une finalité, mais je pense que souvent les enfants continuent à être des enjeux dans une stratégie décidée par les parents, des pions dans la confusion de leurs sentiments. Les choses ne se jouent plus au niveau politique mais familial. Et si on étend le débat au-delà de notre culture, l’actualité brûlante de cette histoire est le mariage forcé, admis sur des continents entiers. On s’indigne de ces horreurs pratiquées au 18e siècle mais que dire de ce qui se passe aujourd’hui en Afrique, en Inde ou en Afghanistan pour des millions de jeunes femmes ?"

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

L’Échange des princesses. Réal : Marc Dugain ; sc : Marc Dugain & Chantal Thomas d’après le roman de Chantal Thomas ; ph : Gilles Porte ; mont : Monica Coleman ; mu : Marc Thomas. Int : Lambert Wilson, Anamaria Vartolome, Olivier Gourmet, Catherine Mouchet, Kacey Mottet-Klein, Igor Van Dessel, Juliane Lepoureau, Maya Sansa, Andréa Ferréol (France-Belgique, 2017, 100 mn).