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Enquête au paradis (2016)
de Merzak Allouache
publié le mercredi 17 janvier 2018

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercerdi 17 janvier 2018


 


Merzak Allouache, qui ausculte la société algérienne depuis quatre décennies, opte, dans Enquête au paradis, pour une analyse de type sociologique de la question sensible du Jihad islamique, pour le noir et blanc et la semi-fiction.
L’enquête "au paradis" et non "sur l’idée de paradis", sur laquelle semble plutôt porter le film, tendrait à faire croire que celui-ci existe sur terre, et plus précisément dans son pays d’origine.


 

Cette investigation est menée par une jeune journaliste jouée par la comédienne Salima Abada, que le cinéaste avait déjà dirigée dans Les Terrasses (2013), chargée d’interroger un certain nombre de ses concitoyens et concitoyennes pour cerner la notion du paradis promis par les prédicateurs salafistes aux jeunes gens qui, par leur martyre, y gagneraient à coup sûr une place.

Que penser des 72 vierges ou houris censées les accueillir et les récompenser de leur acte ? Quelle serait la place des femmes dans cet au-delà conçu, comme ici-bas, pour les hommes ? Celui, en particulier, des sœurs, des épouses, des femmes célibataires ?
Ces questions, apparemment naïves, sont posées après visionnage d’un des sermons exaltés circulant sur Internet.

Sans doute en raison de son sujet, le réalisateur a cette fois-ci peu filmé dans la rue, ce qu’il fait d’habitude, évitant ainsi d’être dérangé ou molesté par quelque autorité, civile ou religieuse.


 

Presque tous les entretiens sont captés en intérieur, avec le dispositif du champ-contrechamp de l’interview télévisée que souligne le micro tendu par la jeune femme à ses interlocuteurs.
Ces derniers sont des personnalités réelles, des écrivains comme Kamel Daoud et Boulem Sensal, des intellectuels, des artistes, des psychiatres.


 


 

Salima Abada relaye les questions que se pose Allouache. En un peu plus de deux heures, s’enchaînent leurs propos ainsi que ceux d’imams modérés, les extrémistes ayant apparemment refusé de cautionner un tel film.

La lucidité des réponses, l’indignation qu’elles expriment, l’affirmation de la laïcité et même de l’athéisme qui caractérisaient le mouvement d’indépendance du pays, pourraient rassurer le spectateur européen et servir d’antidote à l’islamisme radical.
Cependant, à la vision du film, il serait optimiste de le conclure.
D’une part, le panel est rétréci sur sa base, de l’autre, il nous paraît trop homogène. Cela nuit au contenu et l’effort de stylisation, de mise en scène ou en abyme, n’y peut rien. Une certaine monotonie se dégage de cette monosémie.


 

Certes, la fausse journaliste fait à plusieurs reprises allusion aux obstacles rencontrés par le réalisateur. Une excursion dans le sud du pays lui donne raison, qui nous permet de découvrir l’état d’esprit hors la capitale : aucun des habitants abordés sur un marché n’accepte de parler à visage découvert et les femmes, jeunes ou âgées, s’enfuient dès qu’elles aperçoivent la caméra.

De fait, il manque des représentants de la jeunesse (la tranche de la population la plus concernée par le sujet abordé), ceux des enseignants, du petit peuple, des commerçants et, surtout, des jeunes filles. De même, on a cru bon de traduire le mot tabou de chômage par celui d’oisiveté, qui justifie, comme on sait, tous les vices et déviations.

Le vrai sujet du film n’est donc pas celui prétexté. Ce serait plutôt celui de l’impossibilité d’affronter cette brûlante question dans l’Algérie d’aujourd’hui.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Enquête au paradis (Tahqiq fel djenna). Réal, sc, prod : Merzak Allouache ; sc, mont, prod : Bahia Allouache. Int : Salima Nedima, Younès Sabeur Chérif, Aïda Kechoud (France-Algére, 2016, 135 mn). Documentaire.

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