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Mosquito Coast (1986)
de Peter Weir
publié le mercredi 11 mai 2016

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°180, avril-mai 1987
et
Nicolas Droin
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Sortie le mercredi 25 février 1987


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie.


Peter Weir avait plutôt bien réussi son passage du cinéma australien au cinéma américain. Il avait su concilier la force du scénario avec un point de vue personnel qui impliquait une critique de la société américaine en même temps que l’affirmation de valeurs fondées sur l’amitié, la reconnaissance d’autres modes de vie.
Avec Mosquito Coast, on retrouve ce goût pour les histoires solides, voire spectaculaires, ce qui constitue l’une des marques les plus évidentes, aujourd’hui plus que jamais du cinéma américain.


 

Ici nous avons à faire à un homme qui ne supporte plus la vie aux États-Unis, qui craint de façon maladive un conflit nucléaire et entraîne sa famille dans une aventure teintée d’idéalisme et du besoin de retrouver les sources du rêve américain, à savoir le retour à la nature, à l’esprit pionnier.
Abandonnant tout, il entraîne femme et enfant en Amérique centrale où il achète un village dans la forêt au bord d’une rivière et commence à appliquer grandeur nature ses obsessions écologiques. Armé de son bagage technologique, son sens de l’invention et du bricolage, tout lui sourit et on pourrait croire un instant qu’il réussit là où les ancêtres de la nation américaine ont échoué : créer un petit paradis qui n’exclurait pas des indigènes.


 

On se doute bien que ce rêve ne peut durer. Le père manifeste quelques signes de folie dans sa volonté farouche d’élever en pleine jungle une gigantesque machine à fabriquer de la glace, à vouloir en faire bénéficier une tribu voisine. Ses rapports avec sa propre famille laissent aussi entrevoir une attitude pour le moins ambiguë.


 

À partir du moment où trois mercenaires arrivent, tout bascule. Le village est détruit, la folie du père prend un tour dictatorial avec les siens. Alors s’enclenche une mécanique de l’autodestruction. Dans sa remontée finale de la rivière, on pense parfois à Aguirre de Werner Herzog (1972). Mais on n’atteint jamais la même intensité dramatique et symbolique. Malgré ses efforts, Harrison Ford ne parvient pas à faire décoller son personnage.


 

Ce qui déçoit surtout chez Peter Weir, même si son film est marqué d’un grand professionnalisme, ce sont les hésitations constantes entre les directions successives qu’il imprime à son histoire. Les indices de marginalité du héros avant son départ, font place à un rêve écologiste qui finit par s’anéantir dans la démesure. On ne voit pas très bien ce qu’il a voulu dire à travers ce louvoiement des intentions. Cette impression est renforcée par l’esquisse d’un conflit père-fils qui se résout avec la mort du premier.


 

Ce faisceau d’intentions contribue à écarteler le film au lieu lui donner une épine dorsale. Surtout, on ne retrouve plus ici les dimensions secrètes et mystérieuses des films australiens de Peter Weir, ni la chaleur dans la description de mondes étrangers, celui de l’Aborigène dans La Dernière Vague, de l’ami asiatique du photographe de presse dans L’Année de tous les dangers par exemple. (1)
Même si on peut éprouver un certain plaisir à certaines séquences de Mosquito Coast, on reste sur sa faim par rapport à un cinéaste qui nous a habitués à plus de maîtrise et d’invention.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°180, avril-mai 1987

1. Peter Weir a réalisé cinq film en Australie, de 1974 à 1982. Dont La Dernière Vague (The Last Wave) en 1977 (Avoriaz 1978) et L’Année de tous les dangers (The Year of Living Dangerously) (1982). Son premier film américain, c’est Witness, en 1985.



C’est un après-midi d’été, où l’ennui de ne pouvoir jouer avec mes camarades, en vacances, m’oblige à m’enfermer et à visionner ce film. Plus tard, je découvrirais Witness, puis Le Cercle des poètes disparus, qui achèveront de faire de Peter Weir le premier réalisateur identifiable pour mon jeune âge, et le premier à me donner envie, un jour, de réaliser. (1)


 

The Mosquito Coast raconte la chute d’un homme, d’un père et de Dieu, dans un même mouvement de remontée puis de descente d’une rivière, serpentant au sein de la forêt amazonienne.
La critique de la société de consommation, le thème du retour aux origines, la confrontation avec la nature et avec l’Autre qui vit dans la forêt, la remise en cause de la religion, forment la première partie de cette plongée hors du monde civilisé.


 

Puis tout s’effondre, l’utopie devient dictature patriarcale et le monde reconstruit ressemble, dans sa bulle, au monde quitté. La folie utopiste d’Allie Fox (formidable Harrison Ford) le pousse à construire un réfrigérateur géant et à reproduire, en miniature, le monde civilisé. C’est l’étincelle qui fait tout basculer : pour se débarrasser d’intrus qui veulent coloniser son monde "parfait", Fox n’hésite pas à les brûler vifs et à faire exploser sa machine géante, sa ville et ses espoirs dans un même cri, déchirant la quiétude du fleuve.


 

Le film se termine par une redescente du fleuve vers la mer, sorte de Nuit du chasseur diurne avec la construction d’une cabane-radeau, fragile îlot pour encore résister, s’enfermer, renoncer au dehors.
Film noir, écologique et anticapitaliste, mais aussi film sur la famille, sur le rôle surpuissant du père, et qui révèle, en opposant à Harrison Ford, la figure du jeune River Phoenix.


 


 

Je me souviens encore du vertige et de ma tristesse après la première vision. Tout était remis en cause, détruit, cassé. Une vérité très forte ressortait de cette destruction, quelque chose de beau. Le trouble venait surtout du fait que je ne savais à qui s’identifier : à la folie du père-inventeur ou à la résistance du fils-Phoenix. Des années après, le trouble reste.

Nicolas Droin
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

1. Witness, (1985) a fait l’ouverture du Festival de Cannes 1985.
Le Cercle des poètes disparus, (Dead Poets Society, 1989) est sorti en France en 1990, puis en 2004.



The Mosquito Coast. Réal : Peter Weir ; sc : Paul Théroux & Paul Schrader. Int : Harrison Ford, Helen Mirren, River Phoenix (USA, 1986, 117 min.)



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