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Alberto Giacometti. The Final Portrait (2017)
de Stanley Tucci
publié le mercredi 6 juin 2018

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 6 juin 2018


 


Reprenant la célèbre phrase de Georges Perec, "je me souviens" d’avoir vu et revu le magnifique film tourné par Jean-Marie Drot en 1963 avec Alberto Giacometti, vu et revu celui de Ernst Scheidegger tourné en 1966 et ses irremplaçables photographies prises au cours des longues années d’amitié, et d’autres films encore, nombreux, en présence de témoins l’ayant rencontré. Ce "je me souviens" d’un passé cinéphilique devient, devant A Final Portrait de Stanley Tucci, un exercice critique d’une complexité rare.

Car quelle est la vraie nature de ce film ?
Le réalisateur dément avoir fait un biopic, il s’est cependant attaché à chercher en Geoffrey Rush un possible Giacometti, tout comme en Armie Hammer un James Lord, capable de tenir la pose, les mains entre les jambes écartées sur la chaise. Honneur à la rigueur du réalisateur d’avoir reconstitué l’atelier "à l’identique" dans les studios de Twickenham, proches de Londres, d’y avoir fait faire des copies d’œuvres par quatre artistes choisis et supervisés par la Fondation Giacometti. Tout cela augurant d’un travail de la plus haute compétence, alliant à la fois l’authenticité et l’irréprochable approche de l’artiste dans sa vie comme dans son œuvre.


 


 


 

Mais il se trouve malheureusement que cette recherche des moindres détails produit un effet inverse de ce qui est souhaité, provoquant un agacement et un refus du personnage proposé comme étant Giacometti.

D’emblée, Geoffrey Rush en fait trop, il jure souvent, lançant des "merde", que Giacometti, s’il lui prenait de les dire, devait peut-être faire en italien. L’un des problèmes majeurs de l’interprétation de l’artiste tient à l’élocution de la voix, à son modelé, à sa tonalité qui, chez Giacometti, prenait un sens particulier dans le développement de sa pensée. Par exemple, il avait l’habitude d’ajouter un "non" interrogatif à la fin de chaque phrase ou un "n’est-ce pas", comme pour convaincre un peu plus l’interlocuteur et recueillir, finalement, son acquiescement. Giacometti était un homme du langage, il parlait beaucoup, contrairement à Picasso, plutôt silencieux.


 

Avec ce goût prononcé pour le langage et l’expression orale, allait aussi l’élégance du geste et de l’attitude. Giacometti avait de l’allure ; même dans les moments de découragement ou de doute, il se tenait bien. Voir la fin du film de Jean Marie Drot où, seul debout dans une salle d’exposition du musée de Zurich, il regarde toute son œuvre exposée et dit avec une simplicité désarmante : "La sculpture n’est peut-être pas du tout ça, je vais me remettre au travail !"


 

Retenue et réserve, comme Annette, sa femme, dont il fit tant de portraits, le plus souvent vêtue d’un chemisier, incarnée ici par Sylvie Testud, à qui le réalisateur ne trouve rien d’autre à proposer que de faire le ménage dans l’atelier et de poser torse nu.

Giacometti buvait et sortait dans les bars, la nuit, après ou avant de travailler à l’atelier.
À cette occasion, il avait rencontré Caroline, une prostituée. Ces deux détails sont sans doute les plus vrais. Suffisent-ils à évoquer Giacometti face à James Lord, travaillant avec pugnacité et opiniâtreté, cherchant à exprimer l’être en question ?


 


 

A Final Portrait est la première fiction réalisée sur un des artistes majeurs des années 30-60 du quartier du Montparnasse.
Est-il possible qu’un manque de recul face à cette période et ce lieu puisse empêcher d’en accepter l’interprétation ?

Les légendes se construisent ainsi, constituées d’infimes détails véridiques et de grandes idées fausses. Puisse ce film, caricature de Giacometti, donner envie de voir et de revoir ceux réalisés du vivant de l’artiste.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

A Final Portrait. Réal, sc : Stanley Tucci ; ph : Danny Cohen ; mont : Camilla Toniolo ; mu : Evan Lurie. Int : Geoffrey Rush, Armie Hammer, Clémence Poésy, Tony Shalhoub, Sylvie Testud, James Faulkner (Grande Bratragne, 2017, 90 mn).



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