The Intruder, long métrage en noir & blanc réalisé en 1962 par Roger Corman, le roi de la série B, sort en salle pour la première fois en France.

Il s’agit de l’adaptation à l’écran du roman éponyme de Charles Beaumont (1) traitant de la "déségrégation" scolaire, ouvrage qui avait connu à l’époque un certain succès.
Malgré cela, aucun producteur ne voulut suivre Corman qui fut obligé de s’autoproduire.

Alors que nombre de films abordant la question du racisme - cf. par exemple La Chaîne de Stanley Kramer (2) ou Porgy and Bess de Otto Preminger (3) - à la même époque, ont pu bénéficier d’un traitement hollywoodien et, ce qui va avec, la présence de stars, pour The Intruder, Corman dut faire ce qu’il savait le mieux : un film à petit budget (4).

Pour le scénario, il s’assura la collaboration de l’auteur du livre qui en garda la structure : un trentenaire, séduisant, vêtu d’un costume immaculé, interprété par William Shatner - qui avait débuté comme acteur shakespearien à la télévision avant de devenir célèbre avec la série Star Trek - descend du Greyhound dans une bourgade du Sud à la veille de la rentrée des classes.

Il s’installe dans le quartier blanc de la ville, se présente comme social worker et gagne en un tournemain la sympathie des habitants. Il devient en peu de temps le chantre d’une majorité silencieuse, hostile à l’intégration des lycéens noirs, mais réticente à enfreindre la loi. L’étranger s’adresse à la foule en démagogue consommé, brandit la menace de la fin de la race blanche et fait alliance avec les notables : le riche propriétaire du journal local et des membres du Klux Klux Klan se livrant à leurs rituels morbides.

Le pasteur de la communauté noire est victime d’un attentat à la bombe. Par ailleurs, une manifestation "citoyenne" d’hommes et femmes pancartes à la main, se poste à l’entrée du lycée, pour en dissuader l’accès aux élèves de couleur. Toute autorité légale semble avoir disparu.
Seul un journaliste, exaspéré par la faconde du leader autoproclamé s’oppose à lui et à l’opinion qu’il représente. Pris à partie, il est éborgné et expédié à l’hôpital, illico presto. L’autre héros positif du film est incarné par un adolescent noir, qui échappe de peu à la loi de lynch.

Qu’on se rassure : le prédicateur rappelant l’inquiétant pasteur de La Nuit du chasseur sera démasqué. La foule se détourne de lui, non pour ce qu’il propage mais parce que, sur un point précis, il a menti.

On est sensible à l’efficacité de l’adaptation de Corman, rapide, haletante, suivant la forme du thriller.
Pour des raisons économiques, la plupart des scènes sont tournées en extérieur devant des lieux symboliques, comme la mairie ou l’école. Le directeur d’école est joué par... l’auteur, Charles Beaumont.
La figuration n’a pas pu ruiner la production, la foule étant constituée des habitants eux-mêmes. Ce qui confère à la bande un caractère documentaire.
Le cinéaste a recouru au shoot and run, autrement dit au tournage le plus rapide possible des scènes suivi de la poudre d’escampette.

Corman a déclaré à ce propos : "Le sujet explosif nous a causé beaucoup de problèmes et j’ai dû faire appel aux polices locales pour protéger mon équipe. Nous passions de ville en ville après avoir été chassés de la précédente par les habitants furieux quand ils se rendaient compte du thème du film".

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Charles Beaumont, The Intruder, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1959 ; réédition avec une introduction de Roger Corman, couverture de Ronald Clyne, Richmond, Valancourt Books ed., 2015 ; Un intrus, traduction de Jean-Jacques Villard & Michael Belano en collaboration avec Roger Corman, Paris, Belfond 2018.
Charles Beaumont, alias Charles Leroy Nutt (1929-1967), a été scénariste de séries télé comme The Twilight Zone (La Quatrième Dimension), Alfred Hitchcock presents, Wanted : Dead or Alive (Au nom de la loi).

2. La Chaîne (The Defiant Ones) de Stanley Kramer (1958), est sorti en France le 21 janvier 1959.

3. Porgy and Bess de Otto Preminger (1959) est sorti en France le 14 octobre 1959.

4. The Intruder n’est jamais sorti en salles en France, et Jeune Cinéma l’avait vu à la cinémathèque. Cf. Rencontre avec Roger Corman, à propos de The Intruder (1962)

The Intruder. Réal : Roger Corman ; sc : Charles Beaumont, d’après son roman ; ph : Taylor Byars ; mont : Ronald Sinclair ; mu : Herman Stein. Int : William Shatner, Frank Maxwell, Beverly Lunsford, Robert Emhardt, Leo Gordon, Charles Barnes, Charles Beaumont, Katherine Smith, George Clayton Johnson, William F. Nolan (USA, 1962, 84 mn).