home > Films > Do The Right Thing (1989)
Do The Right Thing (1989)
de Spike Lee
publié le mardi 14 août 2018

par René Prédal
Jeune Cinéma n° 197, octobre-novembre 1989

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1989

Sorties les mercredis 14 juin 1989, 22 juin 2016 et 15 août 2018


 


Révélé en 1986 par une comédie débridée (Nola Darling n’en fait qu’à sa tête), Spike Lee choisit dans son troisième long métrage de durcir le ton sans pour autant tomber dans le film à thèse (pas plus le créneau militant que la tendance humaniste) en réservant à chaque protagoniste sa part d’ambiguïté et d’aléatoire.

Caméra toujours en mouvement, joyeusement coloriée dans les teintes vives et plates des bandes dessinées, mélangeant les styles et les genres (subtilités de la comédie de caractères tout à coup moquées par d’agressifs cadrages penchés ; émotion provoquée par les personnages qui semblaient les plus monolithiques ; scènes intimistes débouchant à partir d’un détai sur un épisode spectaculaire…), Do the Right Thing démonte finement l’engrenage menant aux émeutes racistes au sein de groupes ethniques qui ne se détestent pourtant pas tellement.


 

En fait, la violence est sous-jacente, exacerbée par la chaleur torride d’un jour d’été, dans ce quartier noir de Brooklyn où se dresse, fichée comme un corps étranger, la prospère pizzeria de Sal, l’Italo-Américain (mais aussi, comme un contrepoint, l’épicerie des Coréens ou le rendez-vous des jeunes Portoricains). Les poings américains, dont l’un porte l’inscription "Love" et l’autre "Hate", symbolisent, au-delà du clin d’œil à La Nuit du chasseur, cet équilibre instable de la poudrière du racisme.

Un début déambulatoire très séduisant fait découvrir les quelques mètres carrés de cette rue où se concentre le microcosme de toute une communauté et introduit les personnages de comédie qui deviendront ensuite, souvent malgré eux, les protagonistes du drame.


 

Il y a ceux qui observent (l’animateur de la station We love Radio, les trois cornermen sous leur parasol, Mother Sister…), ceux qui croisent sans arrêt dans ces quatre rues (Radio Raheem et son transistor aux énormes baffles, mais aussi le faux "maire" et tous les jeunes désœuvrés), celui qui travaille ou ceux qui attendent un boulot… Bref, toutes les générations abordées à un moment ou à un autre par Mookie (Spike Lee lui-même), le livreur de pizza, personnage longtemps en retrait, mais véritable go-between donnant au film son unité et qui jettera finalement la poubelle dans la vitrine de la pizzeria, malgré son amitié sincère pour un des fils du patron.


 

C’est le provocateur Buggin’-Out qui met le feu aux poudres en s’insurgeant contre les photos de Ritals (Frank Sinatra ou Sophia Loren) dont Sal orne son magasin. Mais Smiley le Bègue propose lui aussi de son côté les images de ses héros black aux habitants du quartier, et notamment la photo de Martin Luther King, dont une citation vient clore le film… juste avant une autre de Malcolm X, l’ordre des deux textes ainsi proposés en épilogue aux spectateurs n’étant évidemment pas le fruit du hasard.

La bande son est en outre d’une grande richesse, aussi bien par un remarquable dialogue ethnolinguistique fixant l’état présent du parler américain dans ce lieu hautement syncrétique, que par une musique insérant dans la mélodie de Bill Lee (compositeur et père de Spike) Fight the Power, chanson du groupe rap Public Enemy dont le clip sert de générique et qui sera tonitruée durant tout le film par l’appareil du gros Radio Raheem. Cet innocent protagoniste servant de victime expiatoire, étranglée lors d’une bavure policière hélas attendue, on voit que le difficile pari du réalisateur de raconter son histoire de l’intérieur même d’un de ces quartiers à haut risque qui font si peur aux populations blanches, est fort intelligemment gagné ; le film avance sur la corde raide et le passage au drame apparaît comme une fatalité.


 

Une première fois, l’affrontement tourne au comique (inondation de la somptueuse voiture), mais la fois suivante, la mort est au rendez-vous lors de l’incendie final.
Ce n’est pas là le dosage roublard d’un vieux dramaturge hollywoodien, mais la vision lucide d’un jeune réalisateur noir en colère, qui voudrait bien tourner des comédies legères, mais que le contexte social actuel accule à faire ce qui est juste : Do the right thing.

René Prédal
Jeune Cinéma n° 197, octobre-novembre 1989

Do the Right Thing. Réal, sc : Spike Lee ; ph : Ernest R. Dickerson ; mont : Barry Alexander Brown ; mu : Bill Lee. Int : Spike Lee, Dany Aiello, Ossie Davis, Ruby Dee, Richard Edsov, Bill Nun, John Turturro (USA, 1989, 120 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts