home > Films > Grande Circo Mistico (o) (2018)
Grande Circo Mistico (o) (2018)
de Carlos Diegues
publié le mercredi 22 août 2018

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 388-389, été 2018

Sélection officielle Hors compétition du Festival de Cannes 2018

Sortie le mercredi 22 août 2018


 


On a un peu honte, mais grande fut notre surprise en apprenant la sélection à Cannes cette année d’un film de Carlos Diegues.
On essaye de tenir les fichiers à jour, mais l’absence de son nom de toute actualité - et ce depuis belle lurette (1) -, faisait de lui un réalisateur du passé, peut-être même disparu, comme la plupart de ses collègues du Cinema Novo (dont le grand Nelson Pereira dos Santos. (2)


 

Certes, le Festival lui avait fait place de temps en temps - Bye Bye Brasil en 1980, Quilombo en 1984 - mais rien depuis Rio zone en 1987, et on ne se souvient même plus d’une éventuelle sortie de ce dernier titre. D’où notre étonnement ravi, et notre crainte : que resterait-il du réalisateur de ces chefs-d’œuvre des années 60 que furent La Grande Ville (A grande cidade) et Les Héritiers (Os herdeiros) ?
La projection de O Grande Circo Mistico, en présence de Carlos Diegues lui-même, un peu voûté mais toujours ingambe (il n’a que 78 ans), a effacé notre inquiétude.


 

Car le réalisateur semble bien avoir gardé, après douze ans d’interruption dans le cinéma de fiction, l’invention et l’énergie du temps de Xica da Silva.
Faute de connaître le poème de Jorge de Lima sur lequel Diegues (avec l’aide de George Moura) a construit son scénario, on ne sait si la folie développée est d’origine. En tout cas, cette histoire d’un cirque, dont l’enseigne est celle du titre, conduite sur un siècle, entre 1910 et 2010, surprend de façon permanente.


 


 

La narration s’attarde, s’accélère, les ellipses chamboulent tout, les personnages qu’on pensait les mieux installés (Vincent Cassel, parfait en méchant, comme d’habitude, Catherine Mouchet en impératrice déchue) s’évanouissent pour reparaître trente ans plus tard, le Monsieur Loyal, Célavi, traverse les époques sans prendre une ride, les jumelles acrobates, ultimes descendantes de la lignée, se mettent à voler sous le chapiteau lors du finale.


 


 


 

C’est un siècle décalé, sans âge, que n’atteignent pas, ou à peine, les soubresauts du monde réel. Le décor extérieur évolue, les habits des spectateurs changent, les cinq générations qui se succèdent gardent les mêmes costumes.

Plutôt que "mystique", qui laisserait entendre des racines sacrées chez le fondateur du cirque, c’est le terme "merveilleux" qui conviendrait, un merveilleux naturel (celui du Tableau des merveilles de Cervantès, tel que revu par le Groupe Octobre), qui irrigue constamment l’intrigue : tout coule de source.


 


 


 

Mais il ne s’agit pas d’un monde niaisement enchanté : on y trouve de l’amour, de la jalousie, du sexe, du sang, de la volupté et de la mort. En gros, pour reprendre la définition de L’Écume des jours, "une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion."
Procédé avouable, s’il en fût, concluait Vian.
On ne saurait mieux définir le film de Diegues.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 388-389, été 2018

1. Le dernier de ses films sorti en France, en avril 2005, Regarde cette chanson (Veje esta cançao) datait de 1994, et n’a eu droit qu’à une seule copie d’exploitation, ce qui explique peut-être qu’il nous ait échappé.

2. Nelson Pereira dos Santos (1928-2018) est mort le 21 avril 2018.

O Grande Circo Mistico. Réal, sc : Carlos Diegues ; sc : George Moura, d’après un poème de Jorge de Lima ; ph : Gustavo Hadba ; mont : Daniel Garcia, Mair Tavares ; mu : Chico Buarque, Edu Lobo. Int : Jesuita Barbosa, Vincent Cassel, Bruna Linzmeyer, Rafael Lozano, Marina Provenzzano, Catherine Mouchet (Brésil-Portugal-France, 2018, 105 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts