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Guantanamera (1995)
de Tomás Gutiérrez Alea & Juan Carlos Tabío
publié le mercredi 17 octobre 2018

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1995 et de Sundance Film Festival 1996

Sorties les mercredis 24 juillet 1996 et 17 octobre 2018


 


La figure de proue du cinéma cubain, Tomás Gutiérrez Alea, réalisateur de Fraise et chocolat (1993), mourra en 1996, juste après la réalisation de son dernier film, Guantanamera.
Le réalisateur règle ses comptes avec la politique cubaine, dont il fut pourtant longtemps le chantre. Il nous livre ici, avec l’aide de Juan Carlos Tabío, un road movie basé sur le comique de situation et l’exploitation de l’absurde. Tandis que les protagonistes se déplacent en petit convoi funéraire pour enterrer tante Yoyito, célèbre artiste revenue à Cuba pour y mourir inopinément en retrouvant le grand amour de sa vie, la célèbre chanson éponyme, avec des paroles adaptées à la situation, accompagne le film.


 

Qui ne connaît Guantanamera, chanson emblématique de Cuba, maintes fois reprises par les plus grands interprètes, Pete Seeger, Joan Baez, Joe Dassin, Nana Mouskouri ou les Fugees ? Il s’agit d’une guajira (chanson populaire traditionnelle), qui serait née à Guantánamo alors qu’un groupe de musiciens animait une fête d’anniversaire. Le chanteur adresse un compliment à une jeune fille dans la rue et celle-ci lui répond vertement.


 

Comme dans les meilleures comédies à l’italienne, les réalisateurs ont choisi de parler de choses graves : l’amour, la mort, la dictature, l’absurdité d’un modèle politique, en utilisant une comédie tendre et hilarante qui met en scène des personnages comme issus de la commedia dell’arte : la jeune femme malheureuse en amour, le bellâtre qui fait fondre tous les cœurs, le vieillard sentimental, la vieille dame indigne et, surtout, le bureaucrate borné en ordonnateur des pompes funèbres.


 

Il faut dire que dans les années 1990, Cuba connaît une grave crise. La libre circulation des devises dépénalisée depuis 1993, le marché noir, l’inflation, le sous-approvisionnement alimentaire, les pénuries de pétrole et d’électricité et les exodes massifs de Cubains prêts à tous les risques pour quitter le navire qui prend l’eau, ont conduit le gouvernement à prendre un certain nombre de mesures notamment économiques, sans délaisser les priorités que constituent l’éducation et la santé publique. L’effondrement de l’URSS a renforcé la pénurie de combustible engendrée par l’embargo américain.

Près de quarante ans après le triomphe de la révolution castriste, le film s’amuse à montrer la gabegie, l’incompétence, le machisme, l’économie parallèle et les absurdités en tous genres, abordées avec humour par l’auteur de La Mort d’un bureaucrate (1966), au titre déjà prophétique.


 


 

Sous ses dehors comique et tendre, Guantanamera est un film profond qui devrait pouvoir intéresser aussi les lycéens et les étudiants désireux de comprendre le système cubain et ses impasses.
Le film sort d’ailleurs accompagné d’un livret pédagogique à l’usage des scolaires, dans lequel l’auteur déclare : "Au fond, ce film est un documentaire. Nous ne faisons que constater que la réalité se comporte de façon absurde. Virgilio Piñera a dit : ’Si Kafka était né à Cuba, au lieu d’avoir été un écrivain de l’absurde, il aurait été un écrivain moraliste’. Toutes ces situations kafkaïennes qui se déroulent dans le film sont vraies, même si ça semble étrange."

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Guantanamera. Réal, sc : Tomás Gutiérrez Alea & Juan Carlos Tabío ; sc : Eliseo Alberto ; ph : Hans Burman ; mont : Carmen Frias ; mu : José Nieto. Int : Carlos Cruz, Mirta Ibarra, Jorge Perugorria, Raul Eguren (Cuba-Espagne-Allemagne, 1995, 105 mn).



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