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Another Day of Life (2017)
de Raúl de la Fuente & Damian Nenow
publié le mercredi 23 janvier 2019

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en séance spéciale au Festival de Cannes 2018

Sortie le mercredi 23 janvier 2019


 


Fervents lecteurs de Ryszard Kapuściński, l’Espagnol Raúl de la Fuente et le Polonais Damian Nenow se sont investis dans l’adaptation de Another Day of Life. (1) De ce reportage éprouvant sur la guerre civile en Angola, Kapuściński a tiré un objet de réflexion sur son métier de journaliste. Son écriture a révélé un écrivain.


 

Les réalisateurs ont adopté une forme hybride originale composée de 60 minutes d’animation et de 20 minutes de prises de vues réelles, témoignages de trois protagonistes qui ont croisé la route du reporter et qu’ils ont retrouvés et filmés.

Les images d’archives télévisées très brèves évoquent la situation politique.
Eldorado du pétrole et des diamants, l’Angola, après la chute de Salazar, devient, dans le contexte de la guerre froide, un enjeu majeur sur l’échiquier mondial. Kissinger œuvre dans l’ombre à damer le pion à l’URSS et à Cuba. Agostinho Neto, leader du MPLA (2), proclame l’indépendance en 1975, ce qui aboutit à la guerre civile. Luanda est prise en tenailles entre l’UNITA de Jonas Savimbi que soutient Pretoria, au sud, et le FLNA de Holden Roberto, épaulé par Mobutu au nord.


 

Kapuściński arrive à Luanda en plein exode des Portugais. Il marche à contre-courant de la foule, les tracts volent sur la ville. Aller à contre-courant, transgresser les frontières, c’est sa manière d’être, comme de choisir le camp du MPLA. Bien qu’on lui refuse un laissez-passer, il piaffe d’impatience de rejoindre Pereira de Eça à la frontière, tenue par le commandant Farrusco qui se retrouve isolé et retranché.


 

En route, il doit faire face aux bandes armées (parfois des enfants) dont on ne sait de quel côté elles sont, et si le mot de reconnaissance qui assure la survie est celui du MPLA, camarada, ou celui de l’ennemi, irmão (frère). La confusão (3) sur le terrain est à son comble, elle imprime dans les moments de tension un rythme effréné aux images animées qui se désintègrent pour traduire les cauchemars qui le hantent. La confusão devient un paysage mental dans le chaos meurtrier, la mort imminente.


 


 

Des moments de grâce et d’humanité : la rencontre de Carlotta, la nuit passée dans le camp de Farrusco. La belle insurgée incarne le visage de l’Angola, elle rêvait d’un monde meilleur pour les enfants. Farrusco est un vétéran portugais rallié au MPLA. Au moment où les tanks d’Afrique du Sud arrivent, il attire l’attention de Kapuściński sur une très vieille femme boulangère : "Nous aimons cette femme, même si elle n’est pas spécialement de notre bord : elle est pour la vie et pour le pain".


 

L’animation ne supplée pas l’image manquante comme dans Samouni Road (4), les réalisateurs s’en sont emparée pour donner une lecture romantique du reporter baroudeur (belle séquence de bar enfumé) et leur permettre d’y inclure de la fiction. Les paysages, de l’ocre au cinabre, contrastent avec les couleurs qui semblent ternes, comparées à celles des paysages réels. Le récit glisse de l’animation aux vues réelles où apparaissent les anciens compagnons de Kapuściński.


 

Ils témoignent de ce qui fut et de leurs désillusions après vingt-deux ans de guerre civile. Queiroz se souvient de l’odeur des cadavres, il en a perdu la paix pour toujours. Farrusco relate la fin du combat où il fut blessé. Luis Alberto, (5) à la cinémathèque de Lisbonne, voit pour la première fois un documentaire où apparaît son amie Carlotta. Saudade…

Seul journaliste témoin de l’invasion de l’Afrique du Sud, Kapuściński envoie son dernier télex comme un lanceur d’alerte. Un appel à Cuba et à l’URSS dont on sait qu’elle n’était pas pressée d’intervenir. Quant aux Cubains, ils ont eu toutes les peines du monde à faire atterrir leurs avions. (6)

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Ryszard Kapuściński, Jeszcze dzień życia, Varsovie, Czytelnik, 1976. D’une guerre à l’autre. Angola 1975, traduction par Véronique Patte, Paris, Flammarion, 1988.
Ryszard Kapuściński, né en 1932, est mort en 2007. Il s’agit de son premier ouvrage.
Signalons également son article "Les médias reflètent-ils la réalité du monde ?" in Le Monde diplomatique, août 1999.

2. Le MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Angola) est fondé en 1956 à Luanda. Les leaders Agostinho Neto, Neto, Amilcar Cabral (Capverdien), Mario Pinto de Andrade se sont rencontrés à l’université de Lisbonne.

3. Un terme intraduisible pour Kapuściński.

4. Samouni Road (La strada dei Samouni) de Stefano Savona (2018), documentaire sur Gaza.

5. Arturo Queiroz et Luis Alberto Ferreira sont deux journalistes angolais. Farrusco dit son admiration pour Kapuściński, qui lui a téléphoné peu de temps avant sa mort, grâce à l’ambassadeur de Pologne en Angola.

6. L’information est confirmée par la journaliste italienne Augusta Conchiglia qui est allée filmer la guerre coloniale en Angola, en 1968. Elle a écrit de nombreux articles pour le Monde diplomatique.

Films sur l’Angola :

* Angola, guérilla du peuple de Marcel Trillat, Bruno Muel & Antoine Bonfanti (1975).

* Lettres de la guerre de Ivo M. Ferreira (2017).
La guerre coloniale vue par António Lobo Antunes.


Another Day of Life. Réal, sc : Raúl de la Fuente & Damian Nenow ; ph : Gorka Gómez Andreu, Raúl de la Fuente ; mont : Raúl de la Fuente ; musique : Mikel Salas. Int : Joaquim Antonio Lopes Farrusco, Artur Queiroz, Luis Alberto Ferreira (Espagne-Pologne, 2017, 85 mn). Documentaire.



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