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Plus Belles Années d’une vie (les) (2019)
de Claude Lelouch
publié le mercredi 22 mai 2019

par Simon Reibel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle hors compétition du festival de Cannes 2019
Sortie le mercredi 22 mai 2019


 


Question initiale : un nouveau film de Claude Lelouch vaut-il la peine qu’on le prolonge d’un commentaire ? Il y a plus de dix ans, depuis Roman de Gare (2007), qu’il n’a pas présenté un produit qui donne envie d’y consacrer plus de temps que la simple durée de la projection. Mais cette fois-ci l’aspect inhabituel du scénario amène à prêter un peu plus d’attention à la chose, ne serait-ce que parce que le tintouin cannois lui a offert une amplitude plus large que celle de ses récents films, tous semblables dans leur inexistence relative. Pensez donc, les interprètes d’un film réunis cinquante-trois après, quelle belle idée, et neuve. Cinquante-trois ans, l’écart est rare. Patrice Leconte a joué petit bras avec ses trente-huit ans entre Les Bronzés et Les Bronzés 3. Et Guillaume Canet, neuf ans à peine entre les deux épisodes des Petits Mouchoirs, quelle misère. Encore un effort, camarades, pour battre le record : Les Bronzés 4 en 2032, Les Mouchoirs 3 en 2064. (1)


 

Mais la presse a oublié de rappeler qu’il y a trente-trois exactement, en 1986, Lelouch avait déjà rassemblé Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée pour Un homme et une femme : vingt ans déjà. (2) Le bide, mérité, nous avait évité le quarantenaire puis le cinquantenaire des noces éternelles des amants de Deauville. Là, pensant qu’il y avait prescription et sans doute que, si ce n’était pas maintenant, ce ne serait plus jamais, il a remis la machine en marche. On pense à Céline (celui de la période Meudon auquel Trintignant ressemble désormais) préfaçant en 1949 la réédition du Voyage au bout de la nuit : "Ah ! on remet le Voyage en route. Ça me fait un effet. […] Si j’étais pas tellement contraint, obligé pour gagner ma vie, je vous le dis tout de suite, je supprimerais tout. Je laisserai pas passer plus une ligne".


 


 

Lelouch ne laissant plus passer une image ?
Faut pas rêver. Au contraire, tout dans son grenier aux souvenirs est réutilisable et le film est un bon exemple de recyclage assez gonflé. Au point que les spectateurs anciens de Un homme et une femme 1, s’ils ont gardé leur billet d’époque, pourraient exiger le remboursement d’une bonne partie du billet acheté pour Les Plus Belles Années d’une vie - quel titre ! (3) -, tant le déjà-vu n’est pas une impression mais une certitude.

Regardons ça de plus près. Anne et Jean-Louis ont vieilli et ne se sont pas revus depuis leur histoire d’amour tôt refermée (mais alors, on aurait rêvé l’épisode de 1986 ?).
Elle est antiquaire et entourée de sa descendance, lui est en Ehpad, sur son fauteuil roulant, surveillée par une infirmière lumineuse (Marianne Denicourt qu’on souhaiterait voir clonée à quelques milliers d’exemplaires, histoire de rendre ces établissements plus vivables.


 

Anne profite de sa découverte de leur proximité géographique pour rendre visite à l’ex-fringant pilote, qui perd doucement la tête, ou fait comme si, et ne la reconnaît pas. Piquée au vif devant l’oubli d’un événement pour elle majeur, elle se prend au jeu de la mémoire, vraie ou reconstituée, des souvenirs perdus ou soufflés à l’oreille, des rêves projectifs ou des projets rêvés.
Jeu auquel Jean-Louis se prête avec élégance, alternant engourdissement et intelligence en éveil, drôlerie et pathétique. La façon dont il utilise ces registres multiples est remarquable : apparemment à bout de force, il ne pense qu’à s’évader, incapable d’aligner quelques phrases, il récite tout à trac le poème de Vian, Je voudrais pas crever, rarement aussi bien dit en situation.
Anne, étonnante de tenue - à un an près, elle a l’âge de son partenaire -, est plus traditionnelle dans sa manière, le rôle offrant moins d’occasions de briller, mais son professionnalisme lui permet de suivre Jean-Louis dans ses sautes de comportement. Tout ce qui se passe entre eux est juste et on est même parfois touché par cette tentative de reconstruction, vaine mais estimable.


 

Malheureusement, le réalisateur n’est pas un funambule des sentiments, ça se saurait, il a toujours besoin de jouer les Monsieur Plus, en rajoutant quelques louches d’épices pour corser son potage.
Et pour bien enfoncer le clou, des fois que l’évocation du passé, trop verlainienne ("Te souvient-il de notre extase ancienne ? - Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?"), ne soit pas perceptible au spectateur moderne, il nous ressert à profusion des séquences entières du primum opus, ponctuant chaque scène contemporaine de son équivalent de 1966 et les confrontant de façon si lourde qu’elles écrasent la narration au lieu de la mettre en miroir.


 


 

Comme si Lelouch en était resté à sa co-palme (4) - il est vrai qu’au tribunal de l’histoire du cinéma, c’est pour elle qu’il demeurera et pas pour ses quarante titres suivants. Et le voilà donc à bourrer son nouveau film des restes de l’ancien - sans compter l’utilisation complaisante de Rendez-vous (5), travelling exemplaire contaminé par la surimpression d’images sorties de Un homme et une femme, truquage parfaitement malhonnête.

Au lieu du salmis délicat qu’aurait pu être le film, une histoire simple revue et relue à la lumière d’un passé incertain, c’est du hachis Parmentier, parsemé de morceaux mal cuits. Ou, pour rester dans le domaine culinaire, cassoulet après tournedos Rossini.
Car - toujours le syndrome de Monsieur Plus - Lelouch a cru nécessaire d’y ajouter une romance pataude entre Antoine et Françoise, les enfants d’autrefois, un appendice avec Monica Bellucci, autre fille inconnue de Trintignant, qui surgit on ne sait pourquoi (question de contrat ?) et disparaît illico, une scène avec Pierre Barouh (hommage sympathique pour saluer sa récente disparition, mais hors sujet). (6)


 


 

Et, bien évidemment, la musiquette de Francis Lai, lui aussi disparu il y a peu, mais qui a eu le temps de déposer ses notes éternelles sur les nouvelles images. (7)
On n’en aura donc jamais fini avec le chabadabada.

Simon Reibel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. De Patrice Leconte, Les Bronzés (1978) et Les Bronzés 3 (2006). Dans le foulée du premier, il y a eu Les bronzés font du ski (1979). De Guillaume Canet, Les Petits Mouchoirs, (2010) et Les Petits mouchoirs 2 (2019).

2. Un homme et une femme : vingt ans déjà de Claude Lelouch (1986).

3. Comment effacer Nos plus belles années (The Way We Were) de Sydney Pollack (1973) ou Nos meilleures années (La meglio gioventù) de Marco Tullio Giordana (2003).

4. En 1966, la Palme d’or a été attribuée ex-aequo à Ces messieurs dames (Signore e signori) de Pietro Germi, ce qui donna lieu à des polémiques. Le Germi est pourtant un film important dans l’histoire du cinéma italien, mais il fut largement éclipsé, en France, par le succès et les soutiens du Lelouch.

5. C’était un rendez-vous, court métrage que Lelouch a réalisé en 1976.

6. Pierre Barouh (1934-2016).

7. Francis Lai (1932-2018).


Les Plus Belles Années d’une vie. Réal, sc : Claude Lelouch ; ph : Robert Alazraki ; mont : Stéphane Mazalaigue ; mu : Francis Lai. Int : Jean-Louis Trintignant, Anouk Aimée, Marianne Denicourt, Souad Amidou, Antoine Sire, Monica Bellucci (France, 2019, 90 mn).



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