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Plogoff, des pierres contre des fusils (1980)
de Nicole Le Garrec
publié le mercredi 12 février 2020

par René Prédal
Jeune Cinéma n°131, décembre 1980

Sélection officielle Cannes Classics au Festival de Cannes 2019
Sorties les mercredis 19 novembre 1980 et 12 février 2020


 


Le film de Nicole et Félix Le Garrec retrace la lutte de tous les habitants de Plogoff pour s’opposer à l’implantation d’une usine nucléaire. Reportage chronologique, tourné au gré de l’évolution de "l’affaire". Plogoff, des pierres contre des fusils a été entièrement produit par les Le Garrec, sans subvention d’aucune sorte, mais est diffusé nationalement par la Gaumont, qui a fait tirer vingt-cinq copies. C’est dire qu’il conviendra de suivre de près cette exploitation "traditionnelle" d’un film conçu comme un document d’intervention, et qui sort d’ailleurs parallèlement en Bretagne dans un circuit spécifiquement régional de cent soixante salles 16 mm.


 


 

Certains parlent pourtant déjà de "récupération". Disons plutôt qu’il s’agit d’une expérience rendue possible par l’offensive de Gaumont, déjà sensible dans le secteur culturel, et qui gagne maintenant des produits jusqu’alors marginaux. Faut-il ainsi accepter de "pactiser" avec le commercial afin de profiter de la couverture de presse que ne manquera d’apporter à l’œuvre une sortie "normale" ? Les Le Garrec le pensent dans la mesure où ils ont réalisé leur film en toute liberté, sans souci mercantile, et que Gaumont peut leur apporter, hors de Bretagne, une diffusion inespérée.


 


 

Bien que situé en 1980, Plogoff est conçu comme aux plus beaux temps du cinéma militant d’après-68 : les événements sont montrés avec justesse, mais aucune analyse ne vient approfondir le propos, et bien des spectateurs se contenteront de jubiler aux jets de pierres lancées contre les cars de CRS. Il est vrai que ce simple reportage pourra au moins donner des idées en apportant la preuve qu’une population déterminée peut s’opposer avec succès à l’appareil d’État (l’enquête d’utilité publique) et aux forces de répression.


 


 

L’honnêteté des réalisateurs est également déterminante dans ce genre de constat : le film ne mythifie pas le combat ; il ne gomme pas le spontanéisme simpliste (rejet instinctif d’un "danger nucléaire" vaguement soupçonné mais en réalité très mal connu), voire même le côté réactionnaire (type : "on ne veut pas d’étrangers chez nous") et accuse en outre les contradictions de ce mouvement dans lequel d’anciens baroudeurs d’Indochine et d’Algérie (les militaires retraités du conseil municipal) se retrouvent aujourd’hui combattre l’ordre qu’ils avaient défendu en d’autres temps et sous d’autres cieux, dans des circonstances tout aussi inexcusables.


 


 

Le film saisit également fort bien un attachement quasi physique à la terre, qui a soudé cette population, révoltée finalement davantage par les menaces d’expropriation que par celles du nucléaire. C’est là d’ailleurs justement une cause du succès (actuel) des Bretons, que l’on peut opposer au cas de Creys-Malville, où la population, moins enracinée à son terroir, n’a pas eu la même ténacité.


 


 

Il s’agit en outre d’une action originale, parce que visiblement menée par des femmes d’un certain âge, au lieu des jeunes barbus et chevelus constituant d’ordinaire les troupes de ces manifestations. Non que les jeunes soient vraiment absents, mais ils ont à leur côté tous les anciens, la continuité de l’action étant en particulier assurée par les femmes, car les hommes- tous marins - sont souvent en mer de longues semaines. Dès lors, les femmes sont le cerveau de la lutte, leurs époux et fils n’assurant qu’un rôle d’appoint au moment des affrontements.


 


 


 

À vrai dire, tous ces éléments n’existent qu’en germe dans le film des Le Garrec et ne s’éclairent vraiment qu’après le débat qui devrait logiquement suivre toute projection.
C’est dire l’importance de la distribution "grand public" : appréhendé de manière superficielle, le film n’est qu’un spectacle plus ou moins folklorique, alors que décortiqué séquence par séquence, il peut être un outil stratégique de grande importance.

René Prédal
Jeune Cinéma n°131, décembre 1980

* Chez Les Mutins de Pangée.


Plogoff, des pierres contre des fusils. Réal : Nicole Le Garrec ; ph : Félix Le Garrec ; mont : Claire Simon & Nelly Quettier ; mu : Guy de Lignières ; son : Jakez Bernard (France, 1980, 108 mn). Documentaire.



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