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Mr Klein (1976)
de Joseph Losey
publié le mercredi 6 juillet 2022

par Claude Benoît
Jeune Cinéma n°96, juillet-août 1976

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1976

Sorties les mercredis 27 octobre 1976, 26 novembre 2014 et 6 juillet 2022


 


Les thèmes du double, de l’identification à autrui, de l’emprunt ou de la substitution de l’identité de l’autre - quelles qu’en soient les conséquences - sont des constantes de l’univers cinématographique de Joseph Losey. De film en film, ses personnages semblent poussés par une même force autodestructrice irrépressible. Mus par un même désir masochiste latent, prenant, selon les cas, des formes différentes, ils courent, en grandes enjambées, à leur propre perte, fascinés, hypnotisés par l’inéluctable échéance.


 

Dissipons tout de suite l’équivoque : ce sont ces thèmes, et le souci explicite de leur approfondissement, de leur exploration, qui se trouvent au centre de l’œuvre du cinéaste, plus que les intentions "sociales" généreuses qu’on lui prête généralement. Certes, depuis ses premiers films, Joseph Losey montre qu’il est concerné par le racisme (Le Garçon aux cheveux verts, 1948), le fascisme (Haines,1950), la peine de mort (Temps sans pitié, 1957), le péril atomique (Les Damnés,1963), la guerre et les exécutions pour l’exemple (King and Country, 1964). Mais ce n’est cependant pas cela qui le préoccupe d’abord.


 

Aussi Mr Klein, plus encore que les dix films précédents, est-il susceptible d’être la victime d’une nouvelle méprise, et cela d’autant que que l’auteur du scénario, Franco Solinas, est considéré comme une scénariste très politique. Bien que l’action se déroule à Paris, sous l’Occupation allemande, et plus précisément au moment de la grande rafle du Vélodrome d’hiver, bien qu’il traite du fascisme, de l’antisémitisme et de la collaboration, Mr Klein n’est pas un film sur l’Occupation devenue détestable (l’attitude morale de Joseph Losey est sans faille), et pas non plus un film qui explique, analyse ou même tout simplement recrée une époque.


 


 

Le sujet de Mr Klein, en fait, est la reconstitution de l’itinéraire d’un homme qui, enquêtant sur une autre homme s’en approprie petit à petit l’identité, jusque et y compris l’heure de sa mort et sa façon de mourir. Robert Klein (Alain Delon), bourgeois parisien d’origine alsacienne, est l’un de ces Français pour qui l’occupation représente une excellente occasion de s’enrichir. Il rachète à très bas prix tableaux et œuvres d’art aux Juifs qui s’apprêtent à quitter le pays. Mais comme, même dans les pires des mondes, les salauds ne sont pas à l’abri des malentendus, il découvre qu’il y a, à Paris, un autre Robert Klein, qu’il est juif, et qu’une confusion entre les deux est probable.


 


 

Robert Klein I, cherchant à retrouver la trace de son homonyme, va devenir progressivement Robert Klein II. Arrêté par la police (française), parqué au Vélodrome d’Hiver, il est envoyé en déportation.

Mr Klein est ainsi l’histoire d’une enquête, dont l’aspect labyrinthique et mystérieux est encore amplifié par la construction circulaire du récit imaginé par Franco Solinas et Joseph Losey. L’impression de mystère est suggérée plus particulièrement par le choix des lieux où Mr Klein se rend et par les rencontres qu’il y fait.


 


 

Parmi les innombrables endroits, où, sur les pas de l’autre, il parvient - les bureaux du journal juif, la préfecture de police, le château de Florence (Jeanne Moreau,) le café-théâtre où l’on donne une hideuse pièce antisémite, l’usine d’armement -, il en est un qui l’obsède au point qu’il y retourne constamment : l’appartement meublé misérable, rue des Abbesses, qui sert de planque à Robert Klein II.


 


 

C’est ce lieu qui scelle son destin. Là, le juif, incarné par Jean Bouise, qui lui vend le tableau d’un "gentilhomme hollandais" (on apprendra par la suite que la branche néerlandaise des Klein est sans doute juive), il va le retrouver à la fin, au Vel’ d’Hiv, et dans un wagon plombé, en route pour l’Allemagne.


 

Par son choix intelligent des lieux et des gens auxquels il confronte Mr Klein I, Joseph Losey parvient à faire exister Mr Klein II, qu’on ne voit jamais, et à le rendre même plus réel que Mr Klein I. Mr Klein II est un résistant. On le sait par de multiples indices : son art de la clandestinité, la partition de l’Internationale, la fabrique de détonateurs.


 

Par ce simple fait, la circulation de Klein I à Klein II prend un tout autre sens, et le film une toute autre dimension. Le réalisateur, privilégiant volontairement les scènes nocturnes, Mr Klein, à défaut d’être un exposé sur l’Occupation, est un admirable chant sur la nuit de l’Occupation.

Claude Benoît
Jeune Cinéma n°96, juillet-août 1976


Mr Klein. Réal : Joseph Losey ; sc : Franco Solinas ; mu : Egisto Macchi et Pierre Porte ; ph : Gerry Fischer ; cadre : Pierre-William Glenn ; mont : Henri Lanoë ; son Jean Labussière. Int : Alain Delon, Jeanne Moreau, Francine Bergé, Juliet Berto, Jean Bouise, Suzanne Flon, Massimo Girotti, Louis Seigner, Étienne Chicot, Pierre Vernier (France-Italie, 1976, 123 mn).



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