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Oliveira, Manoel de (1908-2015) (e)
Conférence de presse (1980)
publié le lundi 15 décembre 2014

Forum, Berlin 1980
à propos de Amor de perdição (1980)

Jeune cinéma n°126, avril mai 1980

Voir aussi : "Manoel de Oliveira, une vie, une œuvre (1931-1980)"


Cette évocation extraordinaire que vous faites de la vie portugaise à la fin du 18e siècle, ces intérieurs, ces costumes, ces objets, cela vient-il du roman ou est-ce votre propre recréation ?

Manoel de Oliveira : Non, le roman était très imprécis et fort peu explicite. Le roman analyse les sentiments et indique les actions. Par exemple le personnage entre dans la salle à manger, où il s’assoit à sa table, mais il ne décrit ni la salle ni la table. J’ai donc dû retrouver tout ce qui concernait, les maisons, les costumes d’époque et les reconstituer.

La brochure de presse parle d’acteurs non-professionnels, le sont-ils vraiment et pourquoi ?

M. de O. : Il était très difficile de trouver des acteurs qui aient l’âge des personnages, c’est-à-dire 13, 15 et 17 ans. J’aurais pris des professionnels s’il y en avait eu. Un personnage comme Juan de la Cruz, qui est un personnage très important et imposant par exemple, est le chef charpentier de la production : il joue avec une grande simplicité et a une voix excellente.

Vous décrivez dans le film des valeurs qui ne sont plus à la mode : la fidélité, la confiance, la passion, les sentiments. Est-ce parce que elles sont celles du roman ou par conviction ?

M. de O. : J’ai choisi l’œuvre parce que j’en aimais les sentiments exprimés, mais surtout pour son extraordinaire qualité littéraire.

Votre film a une grande beauté plastique, et les scènes s’organisent en tableaux. Avez-vous été influencé par les peintres portugais, je pense en particulier à Columbano ?

M. de O. : Non. il est possible qu’inconsciemment, je me sois laisser influencer, mais la composition, je la décidais sur place, selon mon regard.

Pourquoi ce parti pris de style très lent, très statique, presque abstrait qui rend votre film si personnel ?

M. de O. : Je me trouvais faire un film sur une œuvre romantique. Or cette œuvre se joue à deux niveaux. L’un, superficiel, anecdotique, sentimental, très explicite, et l’autre beaucoup plus profond. Je ne voulais pas m’en tenir au premier niveau, ce qui aurait donné quelque chose d’inauthentique. Puisque j’adaptais une œuvre littéraire au cinéma, qui est un art audiovisuel, une œuvre aussi belle, j’ai pensé qu’il était licite de concentrer le film sur le texte et les paroles, et de garder une forme beaucoup plus sereine pour les images. Je ne voulais pas subordonner le texte aux images ni les images au texte. Les deux parties sont en contrepoint, indépendantes l’une de l’autre.

C’est tourné en son direct ?

M. de O. : Oui.

Pouvez-vous parler de l’itinéraire qui vous a mené de Douro, qui était un documentaire, à la fiction qu’est Amor de perdição ?

M. de O. : Douro, c’est un premier film, un documentaire en 16 mm sur le travail très dur des bateaux qu’on charge et qu’on décharge. Un film très vivant et très intéressant.
Mais ce n’est pas seulement un documentaire, mais aussi un film d’avant-garde construit de manière opposée à celle d’Amor, avec des plans très courts, un montage rapide, des surimpressions, une sorte de symphonie. Ici au contraire, les plans sont très longs et lents. Mon premier film de fiction date de 1942, c’est Aniki Bobo. Ensuite en 1972, j’ai tourné Acto da primavera.

Y a-t-il dans votre longue carrière des projets que vous avez abandonnés, soit pour raison de censure, soit pour d’autres raisons ?

M. de O. : Un très grand nombre de projets. Notamment un film auquel je tenais beaucoup qui devait s’appeler Angelica. (1)

Et vous pensez continuer dans cette direction, en adaptant des œuvres littéraires ?

M. de O. : Oui, je suis extrêmement intéressé par le travail d’adaptation. J’y prends un vif plaisir, les œuvres deviennent miennes. Il est extrêmement difficile de transposer une œuvre littéraire. On découvre mille détails parmi lesquels il faut choisir, c’est passionnant et c’est un travail qui me fascine.
J’ai aussi un projet de travail qui n’est pas littéraire, fait à partir de textes historiques portugais, qui constitueraient un bilan de l’histoire portugaise. Un long travail où il faudra prendre connaissance de textes d’érudits.

1. Le scénario de Angelica avait été écrit en 1952.
Le film sera réalisé en 2010 : L’Étrange Affaire Angélica (Estranho caso de Angélica) et sélectionné à Cannes (Un certain regard).

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