Mannheim 2000
publié le samedi 20 décembre 2014

Mannheim, 9-18 novembre 2000, 49e édition

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

Voir le programme, les jurys et le palmarès

Fidèle à ses choix initiaux, le Festspiel met en compétition des premières œuvres.

En sus, il a proposé cette année un programme latino-américain, une section Découverte, un hommage aux Suisses Daniel Schmid et Clemens Klopenstein, et aussi un bel éventail de films pour enfants.

Une majorité de films traitait de la dérive des jeunes en milieu urbain. Petits malfrats, petits trafics, vagabondage sexuel, bien des films restent de facture incertaine et identique d’un pays à l’autre.
Les amateurs de rodéo, les obsédés sexuels, les escort girls, qu’ils soient du Canada, d’Argentine ou de Tokyo, se ressemblent et ennuient.
Parfois l’auteur pimente son film de pornosoft - Flavio Nardini & Christian Bernard pour ’76,’89,’03, - ou tripatouille ses plans avec des effets de pub, genre "la voiture qui colle au sol" - Imo mo dekinai (The Girl and the Killer) de Kim Tae-gwa.
Ces effets sont absents de Comme un aimant de Kamel Saleh, qui du coup, dans son rythme nonchalant, regagne quelque sympathie.

Quelques films restent en mémoire :

Lanse Bayue (Blue Sommer) du Chinois Alex Lai a pour cadre les avenues bruyantes, pressées et colorées de Hong Kong, un simple effet de contraste pour faire sentir la désolation, la désorientation de jeunes aperçus dans leurs gestes quotidiens, un repos au bord de mer, un repas en silence. Tous sont minés par une mort, une disparition, et deviennent aphasiques.

Samotari (Loners) de David Ondricek, conçu au départ comme un court métrage dédié aux amis de l’auteur, s’est développé comme une fleur japonaise dans un cristal de Prague. Chacun est doté d’une famille et d’un métier, ce dernier à vrai dire insolite : l’un se grime et se déguise pour ses émissions de radio-amitié nocturnes, l’autre invente un tourisme spécial, visite pour Japonais de foyers typiquement tchèques, une jeune émigrée slovène explique le rituel du body-whisky et un chirurgien émérite saisi par l’amour fou rêve de s’habiller en plombier.
Tout cela à la tchèque, cocasse mais discrètement - on pense à un Menzel nourri de Kundera, mais à l’heure 2000 quand le peuple pragois s’étonne de l’afflux étranger qui traite leur bonne ville comme une réserve africaine.

Ali Zaoua (Les Enfants de Casablanca) ne relève pas de cet ensemble, c’est un grand film tragique, plus terrible que les films-témoignages de Colombie, et aussi beau que Los olvidados de Buñuel.
La mort du jeune héros inaugure le film, mais comme le sacrifice d’Oreste abolit la fatalité du malheur et fait lever l’aurore d’une nouvelle ère. Nabil Ayouche narre la quête de dignité d’enfants casablancais, leur révolte contre la brutalité du chef de bande qui les exploite, les viole et les pervertit, et autour du beau motif symbolique de l’enterrement "de prince" dû à qui a mené une vie de chien, retrouve le mythe du voyage, de l’île heureuse aux deux soleils, des amoureux seuls au monde et ramène ainsi la tragédie à la dimension enfantine.

Un groupe plus restreint de films injectaient dans des genres aussi définis que la comédie, le film-sabre, le road movie quelques gouttes de fantastique.

Il s’agit plus de merveilleux dans le film japonais de Takaaki Watanabe Ristume Peateega Highway (Crossing the Highway).
Le conte ancien raconte un crime de samouraï pour la possession d’une tête coupée qui peut, plongée dans un lac magique, devenir l’ombre d’une jeune vierge promise à la vie. Le conte est surprenant, mais encore plus étonnante la manière dont Watanabe, à partir d’une goutte de sang tombée dans la neige, suit dans un lent travelling la débâcle des glaces, le ruissellement de la rivière qui féconde et rejoint le Japon actuel.
Les motifs du poisson d’or, du trésor offert, la cupidité qui vend l’amour relèvent d’un folklore russe bien connu mais le conte surgit brusquement dans le monde moderne au cœur d’une forêt où un couple d’amoureux découvre une cabane en rondins. Le poisson d’or est pêché selon la tradition, mais le trésor est dans une valise de billets, l’image d’une femme sur un Marie-Claire local.

Two Thousand and None est un film canadien mâtiné d’arménien.
Le titre se réfère au métier du héros - le docteur en paléontologie Kasparian - et à la révélation d’une tumeur au cerveau qui lui laisse cinq semaines de sursis.
La comédie est menée de main de maître, drôle, rapide, et portée par un John Turturro omniprésent. La mort a deux visages, un, grotesque, sous forme de fossiles, squelettes, ossements en tout genre et monde universitaire conforme. L’autre, un néant impalpable dont l’approche est signalée par les étapes de la dégénérescence. D’où un ton qui passe en tourniquet du grave au rire quand Kasparian écoute les conseils de ses parents juifs et arméniens ; ils apparaissent au fond des tasses ou des verres à l’âge de quarante ans, jeunes parents d’un Kasparian de sept ans.
On passe de l’effet "fantôme à vendre" à l’émotion, quand le film rend compte de la consternation des proches. Le jeu des contrastes s’évanouit dans la séquence finale. Kasparian au seuil de l’échéance a perdu sa mémoire, la voix de l’ami, la tension de sa femme, la tombe de ses parents le touchent dans la fraîcheur d’un commencement. Il s’assoit au cimetière, se sent heureux, remercie ses amis, s’étend, sourit et disparaît.

Les documentaires

Quelques très bons documentaires donnaient la mesure de la diversité que recouvre le mot.

Par devant notaire de Sophie Bruneau-Roudil et Marc-Antoine Roudil filme à la Depardon une salle d’attente et le bureau d’un notaire du Cantal.
Caméra fixe, aucun commentaire, les auteurs captent quelques séances de vente des terrains. On est surpris de la tension dramatique des discussions et du "jeu" des partenaires paysans soucieux de faire belle figure devant l’appareil.

Eislimonade für Hong Li, le long métrage de l’Allemand Dietmar Ratsch suit en reporter le retour à Hanoi du photographe de guerre est-allemand Thomas Billhardt, vingt-huit ans après la guerre du Vietnam. Le film confronte les photos exposées à Hanoi, cadrées, épurées, porteuses de sens, noires et blanches, terribles, et le présent, coloré, détendu et bruyant. Les gens jeunes et vieux regardent les photos et commentent, un jeune photographe freelance discute avec Billhardt, une jeune femme qu’il avait photographiée presque enfant, casquée et militante, est retrouvée. Trois manières de rendre compte de l’actualité se confrontent, les films d’époque, le reportage et les photos où le document devient œuvre d’art.

Polit Piranhas (Piranha Blues) brouille les cartes.
Le film est réalisé par le jeune juriste bruxellois Willem Wallyn qui rend compte du procès Agusta-Dassault, un sujet qu’il traite en témoin passionné puisque le principal accusé était son père, lui-même étant son propre porte-parole devant la presse. Dans un premier temps, des caméras légères et multiples filment le va-et-vient de flics, d’avocats, de personnalités. Entre temps, deux acteurs reconstituent un dialogue survenu entre Wallyn fils et Van Buren, le présentateur vedette de la télé bruxelloise ; celui-ci l’humilie et le ridiculise au prime time de huit heures. Le film alors bifurque dans la fiction pure à visées thérapeutiques pour l’auteur, Wallyn kidnappe Van Buren et saisit chez lui des dossiers et des documents privés pour les publier et ruiner sa carrière. On est gêné devant un certain sadisme mental, mais le film vire au réquisitoire contre la presse poubelle. Les deux antagonistes finalement sont de même race, celle des piranhas, mais Van Buren domine le petit Willem.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

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