Mannheim 2003 I
publié le dimanche 21 décembre 2014

Mannheim, 20-29 novembre 2003, 52e édition

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°290, été 2004

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Le festival s’est ouvert avec le film serbe de Goran Rebic Donau, Dunaj, Duna, Dunav, Dunarea (2003).
C’est l’histoire du dernier voyage d’un bateau-hôtel promis à la casse et celle de son capitaine, Franz le taciturne.
L’événement déclic advient au départ de Vienne avec l’arrivée d’un jeune inconnu porteur du cercueil de Mara, ancienne amante de Franz, qui a voulu être enfouie dans les eaux de son pays natal, exactement aux Portes de fer, à l’embouchure du Danube. Ainsi s’entrelacent deux motifs, celui des familles amputées où des fils recherchent leur père, et celui plus ample, les errances des sans-patrie. Le film est descriptif, quelques incidents sont cocasses, mais rien n’est explicité. Libre au spectateur d’inventer, de choisir la fin heureuse et de créer passé ou avenir à des personnages en quête d’identité.

Loin de l’Europe, le cinéma du cône Sud - Uruguay, Brésil, Chili, Cuba - a décliné toutes ses particularités.

El viaje hasta el mar, de Guillermo Casanova (2003) est un film de fiction classique.
Un groupe d’amis habitant un village loin de Montevideo entreprennent d’aller découvrir la mer. Le thème est celui d’une dernière chance.
Au spectateur est offert un road movie cocasse, ponctué d’incidents inattendus, la panne, l’apparition d’un marcheur qui finalement arrive avant les motorisés, ou l’arrêt devant un panneau publicitaire avec sa gigantesque pin up fellinienne. À l’arrivée, personne n’est intéressé par la mer : l’un constate qu’il y a beaucoup d’eau, l’autre, beaucoup de sable. Un dernier plan, le plongeon du meneur et le plaisir de l’eau, à la fois tout simple et euphorisant.

Les deux films brésiliens sont un hommage joyeux au pouvoir des mots.

Radio favela (Uma ondo no ar) d’Helvecio Ratton (2002) restitue en documentaire dramatisé l’histoire d’une radio pirate de Belo Horizonte.
C’est à la fois l’histoire d’un succès, la preuve qu’une alternative est toujours possible, le parcours de trois jeunes paumés des bidonvilles larguant leurs petits vols pour une belle aventure culturelle et politique. Ils sont inventifs, bon techniciens, musiciens de génie, et vont donner une voix aux oubliés des medias.

Dans Narradores de Javé (2003), Eliane Caffé raconte la lutte d’un village menacé par la construction d’un barrage. La tactique consiste à inventer une origine glorieuse à Javé. Et chacun d’inventer la fondation de Javé au temps des conquistadors. Seul problème, le village est analphabète et le seul capable d’écrire le rapport est l’exclu du village, Antonio. Le film fait la part belle aux récits oraux, aux voix, à l’émulation.

Mercedez Moncada Rodriguez, en ethnologue courageuse, restitue dans La Passion de Maria Elena (2002), le calvaire d’une Indienne Raramuri restée farouchement dans ses collines et qui cherche justice pour la mort de son fils écrasé par une voiture de gringo.
Y sont confrontées deux cultures, la dominante, qui juge fautive la mère, et celle de la communauté raramuri qui n’est pas non plus ouverte à la plainte de Maria.
Un film à retrouver, espère-t-on, dans des festivals documentaires ou de cinéma vérité.

Reste un cas controversé, Sábado (2003), couvert de prix, acclamé en salle, du tout jeune débutant chilien Matías Bize.
Un sujet rebattu, la fureur d’une fiancée interrompant la cérémonie du mariage pour se venger d’un futur peu fidèle, mais tournée sans coupure, 70 minutes durant, en temps réel. L’astuce du film est que l’étudiant chargé de la vidéo du mariage va filmer la vengeance et devenir un personnage à part entière : on lui parle, on voit sa caméra.
À part cette idée, le film est répétitif, et a plongé certains, dont nous sommes, dans un ennui profond.

Dans le récit apparemment linéaire de Khamoushiye darya (Le Silence de la mer) (2003), Vahid Mousaian oppose deux mondes : l’Iran, où les parents du protagoniste Shiavashi pleurent l’absence de leur fils qui a quitté le pays quinze ans plus tôt, et la Suède où le fils a fondé une famille et vit en intellectuel bourgeois, jusqu’au moment où un "frère iranien" lui apprend la mort de ses parents.
Mousaian filme le lent dépouillement d’un homme qui perd son identité européenne sans jamais atteindre le pays natal : il reste coincé dans l’île de Qeshm, paradis des contrebandiers, proche de l’Arabie saoudite.
Le film est bourré de petits détails précis, d’incidents journaliers qui donnent une image assez effrayante des trafics exercés dans la zone, la brutalité des gardes-frontière, l’indifférence à la mort, mais il est haussé au niveau du tragique par une épuration du langage, par les non-dits et la présence des symboles.

Rinaldo (2003), du Hongrois Tamás Tóth, relate comment les locataires d’un immeuble s’unissent et cherchent un sauveur capable de repousser les hommes de main recrutés par une mafia immobilière.
Le film est situé dans la Budapest d’aujourd’hui et montre la formation d’un groupe avec ses différences, un enfant et un vieux ménage qui regrette l’Empire austro-hongrois, des vieux isolés et un jeune ouvrier.
Mais l’autodéfense s’autodétruit quand le groupe se cherche un sauveur, qui est à la fois un clown et un escroc. On retrouve la grande tradition du cinéma hongrois, la solide architecture du drame, l’attention au singulier, la multiplication des silhouettes secondaires, le refus du manichéisme.

NeuFundLand (2002), de l’Allemand Georg Maas raconte un grand départ ; celui de Robert, ingénieur en micromécanique qui largue travail, meubles, maison, et sa bonne ville de Cologne, accroche à sa voiture une vieille remorque et file vers l’Est.

Pas grand chose dans la remorque, un tout petit espace de vie, une boîte qui contient les photos de sa femme qui vient de mourir, et le matériel de son nouveau métier, la pose de télescopes à pièces.
Le charme de ce road movie tient à sa simplicité, au sentiment de liberté qu’expriment des paysages de plus en plus amples, calmes, et bénéfiques. Libre à nous d’y deviner une possible métaphore, celle d’un Est non encore contaminé par le bétonnage et la course au succès.

Toujours vers l’Est mais plus avant, confrontant deux cultures antagonistes et relatant un grand rêve d’amour à sens unique, le film Wenn der Richtige kommt (Celui qui me convient) (2003), d’Oliver Paulus et Stefan Hildebrand, va et vient de Mannheim à Adena, en Turquie.
Autour de Paula, un personnage cocasse, courageux, entêté et chimérique qui s’éprend de Mustapha, gardien au centre culturel qu’elle nettoie le matin, et qui demeure totalement indifférent à ses avances et se laisse renvoyer par son père dans sa Turquie natale. Tout est filmé à Mannheim, au naturel, dans ses tramways, son centre culturel, son quartier turc, ses cafés italiens. La confrontation entre les deux seules actrices professionnelles du film et les autres qui jouent ce qu’ils sont dans la vie est sans heurt.

Moye Miasto / Ma ville (2002), de Marek Lechki est situé en Haute-Silésie.
La ville du jeune Gozdzik n’est qu’un amoncellement de ruines, usines et mines désaffectées. La famille et les voisins sont désœuvrés, fatigués, mais Gozdzik, sans travail ni but, tâche de donner quelques illusions aux siens ; son père, alcoolique, s’obstine à pêcher dans une rivière polluée, Gozdzik s’arrange pour qu’il attrape une énorme carpe.
La rencontre avec Zozia, les épreuves qu’elle lui impose, un petit avion qui fait des merveilles, sa simplicité, son départ à la recherche de son père à elle font naître un espoir. Partir, vivre autrement. L’ami de Gozdzik, le plus désireux d’aller ailleurs trouver du travail, se tue parce qu’il sait bien que l’ailleurs sera comme ici. Le film est d’une grande fraîcheur dans son pessimisme. Les jeunes acteurs non-professionnels sont convaincants dans leurs personnages de bonne volonté.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°290, été 2004

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