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Copie conforme (2010)
de Abbas Kiarostami
publié le vendredi 22 juin 2018

par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°331-332, été 2010

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2010
Prix de la meilleure actrice pour Juliette Binoche

Sortie le mercredi 19 mai 2010


 


Pour condenser les remarques les plus étranges entendues à propos de Copie conforme de Abbas Kiarostami et son tournage à l’étranger, dans une langue étrangère, on peut se souvenir des propos que Joris Ivens tenait à Venise. À la question : "Pourquoi tourner en Chine, ce pays au bout du monde et pourquoi tourner un film sur le vent ? Il n’y a pas de vent en Hollande ?", il avait répondu : "Je suis un artiste, je veux tourner un projet qui me tient à cœur. Que faites-vous de la liberté d’artiste ?"
Abbas Kiarostami, tournant en Italie avec une star française, Juliette Binoche, en langue anglaise avec le baryton anglais, William Shimell, qui n’a jamais été acteur au cinéma, - mais qui ressemble comme un frère au réalisateur -, c’était, en effet, un pari risqué.


 

Mais Abbas Kiarostami connaît très bien l’Italie. C’est là qu’il a rencontré William Shimell lors d’une mise en scène de Cosi fan tutte. Il y a organisé des expositions, des colloques autour de ses films, il y a édité ses livres de poésie et de photographies. Il a exposé et créé des installations à la Biennale de Venise. En dehors des festivals, il a parcouru les universités et les écoles de cinéma qui lui ont fait un triomphe, les femmes aussi. Tout ceci entre dans le film comme une matière crue, qui est malaxée, malmenée. Ce n’est pas un film plaisant. Il y a les cris et les lamentations du gamin qui a senti que sa mère (Juliette Binoche) était sous le charme et risquait de lui échapper. Il y a un homme (William Shimell) qui regarde avec austérité, sévérité même cette femme qui veut le séduire absolument. Et qui ne peut le faire qu’à une seule condition.


 

Et c’est là où le film, après la fiction de la rencontre, crée une deuxième fiction, celle du mariage. La condition nécessaire pour cette femme pour lâcher toute sa frustration accumulée, ses craintes et ses déceptions pour se déclarer enfin à son mari fictif, le bel étranger, expert de l’original et de la copie, cette condition est qu’elle puisse l’investir et le stigmatiser comme s’il était vraiment son époux.

Quelle intelligence et quelle ironie acerbe de situer en outre toute cette histoire dans un village de Toscane, Lucignano, où l’on vient seulement pour se marier !


 


 

On est presque écœuré par tant de poteaux indicateurs. C’est comme quand on mange trop de tarte avec trop de crème, ici la tarte est épaisse et elle est servie tout le long de cette deuxième partie décisive du film où de la parole, on passe enfin aux actes. Mais, puisque chez Abbas Kiarostami, l’amour, c’est une affaire privée, vous en serez pour vos frais. Elle enlève son soutien-gorge, elle enlève ses chaussures, mais vous n’en verrez pas davantage.


 

En fait, le cinéaste ne parle que de ce qu’il connaît. Il a élevé seul son fils. Donc les problèmes d’une personne élevant seule un enfant, il connaît. Il a été marié et il vit séparé depuis de longues années. Personne ne sait rien d’autre sur lui. Et c’est bien ainsi.

Heike Hurst
Jeune Cinéma n°331-332, été 2010

* Cf. aussi "Entretien avec Abbas Kiarostami", à propos de Copie conforme, Jeune Cinéma n° 331-332, été 2010


Copie conforme. Réal, sc, mont : Abbas Kiarostami ; ph : Luca Bigazzi ; mont :
Bahman Kiarostami ; déc : Ludovica Ferrario. Int : Juliette Binoche, William Shimell, Jean-Claude Carrière, Agathe Natanson, Adrian Moore (France-Italie-Iran, 2010, 106 mn).



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