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Mannheim-Heidelberg 2008 I
publié le mercredi 31 décembre 2014

Mannheim-Heidelberg, 6-16 novembre 2008, 57e édition

par Lucien Logette et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°324-325, été 2009

Voir le programme, les jurys et le palmarès

Supporterait-on aussi bien l’arrivée de l’automne si l’on ne savait retrouver, au cœur de son mois le plus sombre, la cité du prince-électeur palatin ?

Peu d’exotisme à Mannheim, peu d’agrément : il n’y a pas de canaux entremêlés comme à Annecy, pas de ravin comme à Fribourg, pas d’arcades comme à Bologne, pas de terrasses au soleil comme partout.
Mais le plaisir d’arpenter une topographie inchangée depuis quatre siècles, de voir s’ouvrir le marché de Noël au pied de la Wasserturm, de revoir les tableaux de Franz Marc à la Kunsthalle.
Et surtout l’attente de la découverte : le Festival de Mannheim-Heidelberg, dans son exploration de terres peu fréquentées, ne nous a jamais déçus.

Existe-t-il beaucoup de festivals dont, à l’heure du compte rendu, on pourrait retenir les trois quarts des films proposés ?
Même si le nombre s’est réduit (une cinquantaine de titres cette année contre une centaine il y a dix ans), la proportion reste fixe.

Et si, sur les dix-huit films en compétition, dix ont été récompensés, ce n’est pas à cause du laxisme des différents jurys : Edgar Reitz, président, a salué "la haute qualité de la sélection" et ce n’était pas là figure de style. D’autant qu’une bonne partie des films présentés hors compétition méritait largement des lauriers - décidément, les jeunes cinéastes ont de la ressource. Et l’éventail des "petites" nations représentées (Hongrie, Norvège, Lituanie, Luxembourg, Bulgarie, Islande, Venezuela, Finlande, etc.) était impressionnant.

C’est Borderline, de la Canadienne Lynne Charlebois, qui a recueilli le plus de médailles (Mention spéciale du Jury, prix Fipresci, prix œcuménique, prix des exploitants).
L’exercice était pourtant délicat, pour un premier film : une héroïne transparente, sex-addict, menant une relation sans espoir avec son professeur de littérature, et nantie du lourd héritage d’une famille de cinglés.
Si ce qui pouvait constituer un bouillon frelaté passe aussi bien, c’est grâce à l’intelligence d’un scénario au petit point, qui mélange sans faillir passé et présent (parfois même à l’intérieur du plan), servi par une interprète hors pair, Isabelle Blais.
Elle figurait, semble-t-il, au générique des Invasions barbares, sans nous avoir laissé de souvenirs : elle est ici remarquable, tout à la fois paumée, volontaire, lucide, cynique, victime touchante.
À ses côtés, Jean-Hugues Anglade, pourtant cheval de retour, fait pâle figure. Souhaitons qu’une semaine québécoise permette un jour au public français de découvrir et le film et l’actrice.

Un roman policier de Stéphanie Duvivier (France) a décroché le prix Fassbinder, label qui correspond tout à fait au film, qualités et défauts compris.
Côté positif, l’atmosphère sinistre d’un commissariat de province, les rapports détestables des policiers soiffards et racistes entre eux, la personnalité de l’héroïne, commissaire indécise et frustrée, la vérité des situations.
Côté faible, la convention de certaines scènes, Olivier Marchal, désormais flic de référence, aussi inspiré qu’un bulldozer, et le manque de background. Mais Hiam Abbas, en patronne de bistrot, est toujours juste et l’inconnue Marie-Laure Descoureaux (une silhouette dans Amélie Poulain) extraordinaire. Le film est sorti sur les écrans français en avril 2008, sans éveiller l’intérêt qu’il mérite.

Thomas de Miika Soini (Finlande) était sélectionné dans la section "Découvertes" et c’en est une assurément : minimaliste, dégraissé (73 minutes), tourné frontalement comme ceux de son compatriote Kaurismaki, avec la même distance complice, multipliant les détails significatifs sans jamais qu’ils débordent, le film est un petit bijou de délicatesse. Rarement, la solitude et la tristesse du vieillard nous ont été transmises avec autant de retenue - les dialogues indiquent des pistes implicites (la condamnation ancienne du héros pour euthanasie), les gestes répétés surgissent comme des rimes internes au discours, le suicide final est traité avec un soin détaché qui en multiplie l’impact.
Thomas a été choisi par l’ACID pour ses projections cannoises cette année. On espère qu’un distributeur aventureux l’a repéré, il y là de quoi faire le bonheur des spectateurs, à l’image du Conte d’été polonais, montré également à Mannheim en 2007.

Nous avions découvert le Hollandais Ben Van Lieshout avec De Zone (1998), superbe court métrage semi-documentaire sur un parking désert - mais si !
On retrouve dans De Muze, la même maîtrise du réalisateur, sa faculté à fabriquer du sens à partir de presque rien, captant, grâce à des cadrages millimétrés, la désolation des monades urbaines.
Faute d’avoir lu celui-ci, on ne sait s’il est fidèle au roman de Coetzee qu’il adapte (Vers l’âge d’homme).
En tout cas, il traduit parfaitement l’odyssée quotidienne du héros sans qualité, qui rêve d’écrire et se bourre de littérature sans pouvoir utiliser son beau stylo et son encre à l’ancienne. Le film est mutique, version neuve d’Un homme qui dort, accumulant les travellings dans les espaces nocturnes inhabités, accentuant l’aspect dérisoire du contingent : le travail, les rencontres, l’amour sont réduits à des gestes dépourvus de sens. L’ombre de la Vitti, celle de L’Éclipse, obsède le héros. Le patronage n’est pas indigne du résultat.

"Toi qui frémis au nom de Vancouver…" écrivait Marcel Thiry, poète belge trop peu connu. Pour nous, qui frémissons au nom d’Esch-sur-Alzette, Nuits d’Arabie de Paul Kieffer était très attendu, car les films venus du Luxembourg ne sont pas légion (en a-t-on jamais vu d’ailleurs ?).
Le plaisir s’est révélé à hauteur de l’attente. D’abord par la capacité de l’auteur à recréer une atmosphère à la Simenon seconde époque (celle de Chez Krull ou du Bourgmestre de Furnes) mâtinée de Dardenne première époque (celle de Je pense à vous).
Les multiples allers-retours quotidiens Rumelange-Luxembourg de Georges le contrôleur, la médiocrité de son entourage, décrite sans ironie ni complaisance (une scène de repas de Noël mémorable), un relation amoureuse étriquée, à la mesure de son destin : tout bascule avec la rencontre d’une jeune Arabe en fugue (Sabrina Ouazani, qui s’affirme de film en film), et la part de rêve qu’elle instille.
Tout finira au grand soleil du Sahara, dans une oasis durement atteinte pour rejoindre la belle, voyage onirique qui voit la victoire de l’amour fou dont, pour une fois, la barque ne s’est pas brisée sur le mur de la vie réelle. Il fallait oser ce genre de folie peu compatible avec l’époque, et Kieffer a réussi son coup.

Il faut toujours un Grand Prix, c’est Lluvia de Paula Hernandez (Argentine) qui l’a obtenu et c’est justice.
Il y a sept ans, son Herencia avait déjà constitué une des bonne surprises de Mannheim 2001. Cette Pluie n’est plus une surprise, mais une confirmation : tenir 110 minutes avec deux personnages presque constamment en huis clos, voiture, chambre, sous une pluie battante, et nous captiver autant n’était pas si simple.
Dans un exercice aussi balisé, façon Deux êtres se rencontrent et une étrange musique s’élève dans leurs cœurs (1), tout est dans la manière : l’approche mutuelle de la conductrice et de son passager inconnu, bloqués dans un embouteillage géant, se fait suivant un tempo savant, tout en douceur dans le détail. Le film regorge de trouvailles, gestes, dialogues suspendus, va-et-vient de sentiments peu à peu construits, jusqu’à l’évaporation du mystère initial.
Rien de nouveau sur le fond, mais une description du paysage amoureux magnifiquement écrite (le scénario de Lluvia a été soutenu successivement par les festivals de Berlin et d’Amiens), et une actrice étonnante, Valeria Bertuccelli, imprévisible, passant du rire aux larmes dans le même mouvement - et qui chante !
Il y a quelques années, on ne jurait que par le nouveau cinéma argentin. La mode a reflué, mais Buenos Aires vibre toujours, il convient de ne pas l’oublier.

Lucien Logette & Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°324-325, été 2009

1. Les diverses éditions de ce roman de J.A. Schade sont sans doute épuisées, mais en cherchant bien sur Internet, on doit pouvoir encore dénicher ce titre indispensable.

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