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Mannheim-Heidelberg 2013
publié le vendredi 2 janvier 2015

Mannheim-Heidelberg 2013, 31 octobre-10 novembre 2013, 62e édition

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°358, mars 2014

Voir le programme, les jurys et le palmarès

Fidèle à sa politique, le Festival de Mannheim-Heidelberg privilégie les premières ou deuxièmes œuvres de cinéastes jeunes, voire très jeunes, les productions venant de pays peu représentés sur le marché international : Estonie, Azerbaïdjan, Norvège.
L’ambition est d’attirer l’attention sur des films qui se situent en dehors du mainstream.
En compétition internationale cette année : 17 films, 11 "découvertes internationales", 13 "projections spéciales" d’œuvres inédites, et de valeurs établies, comme Inside LLewyn Davis des frères Coen et Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot.

Il est difficile de dégager une tendance générale, cependant, le thème de la jeunesse - ses exigences, ses espoirs et aussi son mal-être - pourrait constituer le dénominateur commun de nombre des films montrés cette année.

Iglú (Chili, 2013) est la première œuvre de Diego Ruiz, un comédien de 25 ans qui a déjà un nom dans son pays.
Il nous présente un "Portrait de l’artiste en jeune homme".
Jadis, celui-ci aurait été peintre, aujourd’hui il est illustrateur et storyboarder. Le protagoniste est par ailleurs homosexuel, dépressif et accro aux médicaments. Il vient de perdre sa mère et de mettre fin à une relation avec un homme de vingt ans son aîné. Il entame un traitement avec une psychothérapeute fort peu orthodoxe et une histoire d’amour avec une de ses collègues.
Le réalisateur déstructure le récit à coup de raccourcis et d’ellipses, brise le rythme chronologique, alterne les scènes réelles et oniriques, change de média, utilise tantôt le film, tantôt le dessin, ou encore l’image basse définition du web (dans des soliloques via skype).
À cela s’ajoutent les continuelles métamorphoses de l’acteur-réalisateur, tantôt dandy peroxydé muré dans une solitude hautaine, tantôt adolescent écorché vif. Le film est surtout tourné en intérieur - l’"igloo" symbolise l’isolement du héros. Les plans en extérieur décrivent une vie urbaine dynamique.

Le héros de Blackbird (GB, 2013), le jeune Ruadhan, refuse de quitter son village natal de la côte nord de l’Écosse où il n’y a plus de travail, et où la mer est si polluée que la plage est jonchée de poissons morts.
Il vit dans un vieux bateau où il amasse les objets de rebut. Ses meilleurs amis sont les vieux du village, hauts en couleurs, avec qui il entonne, le soir au pub, de vieilles ballades celtiques. Même si ce monde doit être englouti, Ruadhan pourra continuer à le chanter, comme un merle.
Blackbird, premier opus du musicologue Jaimie Chambers, est une réflexion sur la perte, le deuil, l’affirmation de la puissance de la poésie dans un monde globalisé. Il fait intervenir deux célébrités du chant écossais, Norman MacLean et Sheila Stewart.

Hemma, de Maximilian Hult (Suède / Islande 2013), pose la question du pays natal et de la transmission entre les générations.
Lou, une jeune fille introvertie, élevée par une mère possessive qui a coupé les ponts avec sa famille, décide de quitter la ville et de s’installer auprès de sa grand-mère. Celle-ci l’accueille, de même qu’elle adopte un enfant du village atteint de phobie scolaire. Un jeune homme qui, lui, refuse de partir pour la ville et gagne sa vie en jouant du piano et en vendant de vieux livres, se joint à l’improbable trio. Cette union de quatre solitudes dans une nouvelle abbaye de Thélème permet à chacun de se ressourcer… Un conte de fées aux couleurs pastel, que d’aucuns ont qualifié de feelgood movie, et qui a suscité l’enthousiasme du public, le soir de l’ouverture.

Silmäterä, Princess of Egypt (Finlande, 2013), premier film du scénariste Jan Forström, montre à quel point le "modèle scandinave" est de plus en plus menacé par la peur de l’étranger.
Une jeune mère-célibataire vivote, sans contacts sociaux, avec sa fillette dans les faubourgs d’une grande ville. Un beau jour, elle aperçoit un homme qui parle à sa fille sur l’aire de jeu : ce n’est pas un pédophile, mais le géniteur de l’enfant qui veut renouer. Paniquée à l’idée que l’homme, qui plus est d’origine arabe, lui enlève le seul être qui compte pour elle ("Silmäterä" signifie "la prunelle de mes yeux"), elle perd peu à peu la raison. Elle retire sa fille de l’école, se barricade chez elle et se procure une arme auprès de collègues adeptes de l’autodéfense. Le film, inspiré d’un fait réel, dépeint l’enfermement dans la folie avec une intensité qui fait penser aux meilleurs Polanski.

A coleçao invisvel de Bernard Attal (Brésil, 2013) est une adaptation de la nouvelle de Stefan Zweig La Collection invisible de 1935. Rappelons que l’écrivain viennois mit fin à ses jours à Petropolis, au Brésil.
L’intrigue est située non pas dans l’Allemagne en crise, mais dans une région du Brésil actuel ruinée par une maladie des plantes. Un play-boy de Bahia est à la recherche d’un collectionneur, propriétaire d’une exploitation de cacao à qui il veut racheter des pièces à vil prix. Il traverse une région dévastée et repère son homme, gardé par son épouse et sa fille comme par des cerbères. Celui-ci, aveugle, présente cérémonieusement sa collection au jeune homme qui, interdit, ne voit que des planches vides. Après ce choc, l’insouciant protagoniste ouvre les yeux sur la misère environnante ; il va saluer les petits mendiants qui lui ont servi de guides contre quelques pièces. Une manière de saluer leur vitalité, leur sens de la débrouille, leur art de la survie.

Deux films politisés traitent des enfants de la Révolution.

Melaza (Cuba / France / Panama, 2013) de Carlos Lechuga tire un bilan sans illusion du castrisme dont les espoirs avaient nourri la mythologie familiale. Aucun pathos, des faits.
On est loin de la capitale, dans un village dont la richesse était l’usine de canne à sucre, fermée. Une employée, Monica, habillée en secrétaire modèle, s’y rend chaque jour pour vérifier que tout est en état de marche. Son compagnon enseigne à des bambins en uniforme à nager dans une piscine sans eau, à ânonner des slogans et à se servir d’un fusil. Radio-Melaza continue d’émettre et un avion largue les journaux. La détresse s’exprime en catimini, par de petits trafics, des larcins et la prostitution qui semble inévitable. Le pouvoir est représenté par la police, tenue informée des délateurs dans l’ombre. Le film n’a pas été censuré ; il s’en tient au constat de la fin d’une époque. Le style de réalisation est à la fois réaliste et alerte, voire absurde. L’espoir vient du ciel : un jour, arrive enfin la pluie ; l’instituteur retrouve sa classe barbotant dans l’ancienne cuve à mélasse emplie d’eau.

Autre révolution : l’iranienne. Tourné moins de deux ans après les manifestations de 2011 qui ouvrirent la voie au Printemps arabe, Bending the Rules, de Behnam Behzadi, est à la fois le portrait de la jeunesse téhéranaise, une allégorie politique et une œuvre d’une grande beauté plastique.
Une troupe théâtrale est invitée à présenter son spectacle en Europe. Tout est prêt. Sauf que l’actrice principale s’est vu confisquer son passeport par son père, un haut fonctionnaire à qui cette tournée déplaît. La demoiselle fait mine de se soumettre mais elle disparaît et le père fait pression sur la troupe, menaçant de faire interdire l’entreprise. La pièce qui se joue n’est plus un conflit symbolique, mais réel. Chacun y donne son avis, imagine des solutions au cours des discussions où sont examinés les enjeux. Le film devient une pièce de théâtre dans le théâtre. À mesure que le débat progresse, nous assistons à la formation d’un collectif politique. Les jeunes gens ne se laissent pas dicter leur avis et parviennent, ensemble à une solution. Ce film polyphonique et polysémique a pu déjouer la censure (qui n’a pratiqué que… 17 coupes) et a été distribué dans huit grandes villes iraniennes.

Deux longs métrages prennent le problème à l’envers, en adoptant le point de vue du père, voire du grand-père.

Mandariinid (Estonie / Géorgie, 2013) de Zaza Urushadze, se passe durant le conflit qui opposa, au début des années 90, la république d’Abkazie, soutenue par la Russie, à la Géorgie.
Dans cette mosaïque de peuples, il y a des villages estoniens, vidés d’une population qui a fui les combats. Restent deux hommes, l’un, Marcus, récolte des mandarines, l’autre, Ivo, fabrique des cagettes. Mais ils ne peuvent ignorer la guerre… Ivo réussit à sauver un Tchétchène et un Géorgien, tous deux mal en point. À peine revenus à eux, les deux ennemis jurés tentent de s’entretuer. Ivo parvient à imposer, par sa seule autorité, la paix dans sa maison ; il fait passer les lois de l’hospitalité et le respect à la parole donnée avant la logique de la guerre. Huis-clos haletant, Mandariinid est une réflexion pacifiste qui rappelle Les Voisins (1952) de Norman McLaren, ainsi qu’une démonstration de la puissance du discours.

Koan de printemps (Corée du Sud / France / Vietnam, 2013) de Marc-Olivier Louveau, expert, entre autres, de Wu Dao, un art martial sino-vietnamien, a fait figure d’ovni.
C’est un conte philosophique qui relate le dernier voyage du vieux maître d’armes, Truong, sommé par l’empereur de se trouver un successeur. Après une quête qui le mène auprès d’un ancien général devenu pêcheur, il hésite entre ses deux fils, virtuoses du sabre, certes, mais bien éloignés du détachement zen. Il choisit leur sœur, modeste, aussi gracieuse que sage, qui décline l’offre. Et il revient avec un cadeau de son hôte, une tortue, symbole de la faiblesse feinte et de la longévité. On est enchanté par la lenteur du rythme, la beauté des plans, le continuum chorégraphique, les touches burlesques. Un film à contempler et à méditer.

Terminons sur un sourire, une comédie flamande tonique, jamais vulgaire, Brasserie Romantiek (Belgique, 2012), de Joël Vanhoebrouck, qui obéit à la règle des trois unités. De lieu : un restaurant gastronomique qui reste une affaire de famille ; de temps, la durée à peine contractée d’un dîner, le soir de la Saint-Valentin ; d’action : à chaque table, des histoires d’amour et de désamour, des explications orageuses, des couples qui se cherchent, se font ou se défont.
La caméra passe sans gêne d’une histoire à l’autre et jusque dans la cuisine où menace l’éclat le plus grave.
On craint que, comme dans Festen, les secrets de famille ne soient révélés.
Il n’en est heureusement rien : on frôle la gravité, mais sans s’appesantir. Le film, servi par des dialogues extrêmement vifs, des gags parfaitement amenés et d’excellents comédiens, égratigne au passage la vie de province, sa médiocrité, son souci de respectabilité. Mais les choses rentrent dans l’ordre, comme après Carnaval.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°358, mars 2014

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