Tout commence par une effraction, lorsqu’une automobile hors de contrôle pénètre littéralement dans un immeuble romain. Le conducteur (le fils du personnage interprété par Nanni Moretti) se révèlera alcoolisé, mais, à tous les étages de l’immeuble, le mal est intérieur, que vont révéler les divers dysfonctionnements mis à jour par le film.

Ce qui frappe ici est que le salut ne passe plus obligatoirement par la filiation. Andrea, le jeune homme responsable direct de l’accident, est en train de couper les ponts face à l’intransigeance de son père magistrat - on ne pourra plus cette fois accuser Nanni Moretti d’occuper le devant de la scène -, tandis que Lucio qui, par ailleurs, fait une fixation sur ce qu’un vieillard aurait fait à sa fillette de sept ans, en vient à déflorer une Lolita qui "pourrait" (justement) être sa propre fille.

Les personnages sont habités par la peur et la culpabilité, alors même que la réalité n’y offre probablement aucun fondement. Même si cela grince ici ou là, la névrose de la mère de famille éloignée de son mari, "résumée" par un corbeau imaginaire, ou bien la résolution un peu rapide de l’épisode avec la jeune fille, qui se conclut avec une bienveillance (peut-être pas étrangère au tempérament de Nanni Moretti), le cinéaste entrelace habilement les différentes ondes de choc provoquées par l’accident du début.

Comme on peut s’en douter, il capte l’air du temps, sur fond d’agression sexuelle, propose un (quasi) finale unanimiste sur une musique de tango, comme une version mineure des farandoles felliniennes, avant de conclure par une touche apaisée, une réconciliation solaire entre la mère d’Andrea, devenue veuve, et son fils.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Tre piani. Réal : Nanni Moretti ; sc, dial : Nanni Moretti, Valia Santella, Federica Pontremoli d’après Eshkol Nevo ; ph : Arnaldo Calinari ; mont : Clelio Benevento ; mu : Franco Piersanti. Int : Alba Rohrwacher, Anna Bonaiuto, Paolo Graziosi, Riccardo Scamarcio, Margherita Buy, Nanni Moretti, Alessandro Sperduti (Italie-France, 2020, 119 mn).