home > Films > Memoria (2020)
Memoria (2020)
de Apichatpong Weerasethakul
publié le mercredi 17 novembre 2021

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 17 novembre 2021


 


En ayant recours à deux comédiennes connues en Occident (Tilda Swinton et Jeanne Balibar), tout en travaillant "hors sol" (en Colombie), le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul n’abdique rien de ses exigences, ni ne renonce à sa manière, entre un cinéma "instinctif" et l’installation muséale.


 


 

Pour le spectateur, il s’agit moins de fascination que d’une espèce de perception ouatée qui passe ici par une actrice / médium, Tilda Swinton, que l’on a rarement connue aussi diaphane, dont le personnage, Jessica, une botaniste experte en orchidées, entend au cours de la nuit - ou bien à l’aube, on ne sait - une forte détonation qui pourrait évoquer le bruit d’une boule d’acier chutant au fond d’un puits.


 


 


 

Comme dans une version contemporaine de Blow Out (1), Jessica va s’évertuer à "reconstruire" ce bruit. Elle rencontre notamment un ingénieur du son, dont rien ne nous dit s’il s’agit d’une réalité, d’un souvenir ou bien d’une prémonition - on a pu à ce propos parler de fin du monde. Ou encore d’un rêve, sachant que, dans cet univers, les rêves circulent et peuvent ne pas appartenir à celui qui les raconte comme ce rêve du chien, évoqué par la sœur malade de Jessica.


 


 

Et l’on sait, depuis certains romantiques allemands, que le monde du rêve nous est "réellement commun à tous, parce que tous nous y participons, ou parce qu’en lui nous participons à la Réalité universelle" (Albert Béguin). Cette réalité, Apichatpong Weerasethakul ne peut l’ignorer (un homme tombe sous les balles dans une avenue de Bogota) qui la "gonfle" de la perception du spectateur, rendue extrêmement aiguisée à la fois par l’attente du bruit récurrent, tout autant que par l’échelle des plans (pratiquement pas de gros plan) qu’il s’agit de venir habiter, ou bien hanter, tel le visiteur d’une installation.


 


 

À la fin du film, Tilda Swinton, enfin "visible" en plan rapproché, est elle-même devenue une pure puissance de vision et d’écoute.


 

S’il fallait coûte que coûte trouver un équivalent occidental au cinéaste thaïlandais, ce pourrait bien être Jacques Tourneur dont on connaît l’intérêt pour la perception extra-sensorielle et la fascination pour l’au-delà.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

1. Blow Out de Brian De Palma (1981).


Memoria. Réal, sc : Apichatpong Weerasethakul ; ph : Sayombhu Mukdeeprom ; mont : Lee Chatametikoo ; mu : César Lopez. Int : Tilda Swinton, Jeanne Balibar, Juan Pablo Urrego, Elkin Díaz (Thaïlande-France-Grande Bretagne, Mexique, 2020, 136 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts