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Homme qui penche (l’) (2020)
de Marie-Violaine Brincard & Olivier Dury
publié le mercredi 8 décembre 2021

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021

Sortie le mercredi 8 décembre 2021


 


Le long métrage de Marie-Violaine Brincourt & Olivier Dury évoque le poète Thierry Metz (1956-1997), auteur d’une douzaine de publications chez de petits éditeurs et de deux textes édités par Gallimard. Les coréalisateurs avaient déjà travaillé ensemble sur le film Si j’existe, je ne suis pas un autre (2014) qui fut montré au Festival du Réel. Le titre L’Homme qui penche reprend celui du dernier volume du poète, écrit à l’hôpital psychiatrique de Cadillac, et paru à titre posthume.


 

Thierry Metz écrivait tout en vivotant de petits boulots : ouvrier agricole, en usine et dans le bâtiment, employé dans des abattoirs, intérimaire permanent. À la fois intégré et exclu. Vivant avec sa compagne et leurs trois enfants, toujours sur la corde raide de la précarité. Un de ses fils est fauché à l’âge de 8 ans par une voiture sur la Nationale passant devant la maison. Thierry Metz ne se remettra jamais de cette perte. La famille se défait. Il sombre dans l’alcool. Après avoir été hospitalisé, sur sa demande, il met fin à ses jours.


 

Est-il un poète maudit ? Ou une variante prolétarienne de la fin du 20e siècle ? Marie-Violaine Brincourt & Olivier Dury gomment toute anecdote, tout effet de pathos. Les éléments biographiques de l’écrivain, réduits au minimum, sont déduits par le spectateur. Seuls quelques intertitres, en lettres blanches sur fond noir comme au temps du muet, l’informent des principaux épisodes d’une vie. Nul proche, nul témoin n’est requis pour nous parler de lui. Aucune image, aucun film d’amateur, aucune archive papier ou sonore ne nous précise quoi que ce soit à son sujet.


 


 

La caméra revisite les lieux qu’il fréquentait, qu’elle saisit en longs plans fixes. Les arbres, les bois, les paysages, la campagne ne sont pas spécialement attrayants. De leur banalité a pu naître la beauté. Les réalisateurs le prouvent visuellement en insérant soudain, dans une série de plans d’ensemble, l’image d’un champ de tournesols aussi saturé que ceux saisis par Van Gogh, ou bien la vue rapprochée d’une mare où ricochent des gouttes de pluie d’orage, ou encore celle d’envols d’étourneaux… Les longs silences de la bande-son, les voix venant du plus loin, les bourdonnements d’insectes, l’écho d’un train et le roulement de poids lourds donnent plus d’intensité aux plans fixes. Aucune musique, si ce n’est, à un moment, quelques mesures du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. Pas de voix off dans ce documentaire autre que la lecture, par Olivier Dury, de textes de Thierry Metz.


 

Trois stations du chemin de croix du poète structurent le film : l’expérience du chantier, telle que relatée dans Le Journal d’un manœuvre, illustrée par des prises de vue récentes de travaux de fondation d’un bâtiment ; le passage obligé sur la mort du fils avec des textes la rappelant, événement traduit cinématographiquement en travellings à l’intérieur du domicile familial désormais à l’abandon ; le chapitre du séjour à l’hôpital psychiatrique présente de près des visages de patients plongés dans leurs pensées et dessine leurs silhouettes somnambuliques.


 


 

Le film pourra paraître austère, exigeant une attention de tous les instants. Mais il s’agit avant tout d’une méditation destinée à recréer une présence à partir de l’absence. Thierry Metz garde son mystère. L’Homme qui penche n’est pas le récit d’un poète maudit mais le rappel de l’existence maudite d’un poète.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021


L’Homme qui penche. Réal, sc : Marie-Violaine Brincard & Olivier Dury ; mont : Outaiba Barhamji (France, 2020, 94 mn). Documentaire.



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