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Sunless Shadows (2019)
de Mehrdad Oskouei
publié le mercredi 26 janvier 2022

par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Comité du film ethnographique Jean Rouch 2020

Sortie le mercredi 26 janvier 2022


 


Sunless Shadows est le troisième film documentaire que Mehrdad Oskouei consacre aux centres de détention pour jeunes en Iran. (1) Il s’agit cette fois d’un lieu pour jeunes filles coupables de participation aux meurtres de leur père, de leur mari ou d’autres membres masculins de leur famille. À peine sorties de l’adolescence, trop vite vieillies, elles attendent ici de connaître leur peine, tandis que leurs mères ou leurs sœurs plus âgées, ayant participé au meurtre, vivent ailleurs, dans des prisons pour femmes, où quelques-unes risquent d’être exécutées. Les jeunes filles, elles, bénéficient d’une relative autonomie, avec des lieux partagés, un jardin, la possibilité d’échanger entre elles.


 


 


 

Le réalisateur s’insère dans cet univers carcéral assez souple et filme avec un naturel confondant leur vie, leurs moments d’échanges et leurs confidences obtenues par une caméra jamais voyeuse ni intrusive. Un dispositif d’autofilmage des détenues s’adressant à leurs familles complète ces situations. Au premier abord, ces jeunes femmes semblent sans corps, voilées de noir, seuls leurs visages expriment leurs sentiments, leurs regrets, leurs espoirs aussi à travers la vitalité de leur jeunesse. Certaines même n’ont pas de regret, sauf celui d’être éloignées de leurs mères avec lesquelles elles gardent un rapport très étroit et fusionnel.


 


 

Le film progresse vers la découverte des personnalités de chacune et vers la libération de leur parole. Toutes ont commis un crime qu’elles reconnaissent et elles décrivent ce qui les a amenées là : la maltraitance, la violence d’un mari ou celle d’un père sur leurs mères et sur elles, mais aussi l’inertie des autorités lorsque ces jeunes femmes ont tenté de porter plainte. Une scène, dans le dispositif d’autofilmage, montre l’une d’entre elles s’adressant directement à son mari qu’elle a tué. Elle tente de justifier son acte, racontant comment elle s’est mariée de force à 12 ans, tout en pensant fuir un milieu familial violent, pour finalement retrouver la même violence avec lui.


 


 

Toutes attendent de connaître leur sort et selon la loi du talion, leurs familles, leurs frères, peuvent exiger "le prix du sang", c’est à dire de l’argent en contrepartie de leur pardon. Mais pour la plupart, sans ressources, cela est impossible. Le cœur du film, c’est : Comment peut-on tuer son père, son mari ? Pour elles, la question est aussi : Pourquoi tuer plutôt que se suicider ? Les poids de la société et de la religion sont tels qu’elles trouvent en ce centre de détention un refuge où leur vie sociale collective est plus harmonieuse qu’à l’extérieur, et où une certaine liberté de pensée peut naître de la confrontation et de l’échange entre femmes ayant vécu des situations semblables.


 


 

Mais, sous les sourires et des moments de douceur apparente, se trouve le désespoir profond d’une vie sans issue (une d’entre elles se suicidera quelques temps après le tournage). Les actes commis sont extrêmement subversifs dans cette société patriarcale. Mehrdad Oskouei en fait un constat non-dit - aucune critique des institutions ni de la société iranienne n’étant exprimée explicitement -, en filmant avec beaucoup de retenue, en captant les paroles les plus sincères, sans jamais intervenir directement. La place qu’il occupe auprès d’elles est celle d’un aîné, ou d’un professeur bienveillant.


 

À la fin du film se trouve une scène qui résume bien le lien profond entre filles et mères et éclaire le drame réel qui se joue pour elles : plusieurs de ces jeunes femmes sont emmenées au parloir de la prison où sont enfermées leurs mères. Les échanges avec elles, à travers les barreaux et les vitres de ce parloir, téléphones en main, sont filmés de façon magistrale, avec une dextérité invisible. Douleur, tendresse et espoirs se mêlent, dans un moment profondément humain.

Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le premier documentaire de Mehrdad Oskouei sur le sujet, c’est Les Derniers Jours de l’hiver (Akharin Rouzhaye Zemestan, 2012), tourné dans une maison de correction pour mineurs de Téhéran. Sept adolescents racontent leurs "méfaits", vols et consommation de drogue.
Le deuxième documentaire, Des rêves sans étoiles (Royahaye dame sobh, 2016) s’occupe des filles. Les jeunes délinquantes, dans leur centre de détention et de réhabilitation, s’ennuient fermement et rêvent de liberté. Mais elles ont peur de ce qui les attend dehors. En 2016, le film a été sélectionné à la Berlinale 2016 et y a reçu le Prix Amnesty International. Il a également reçu, cette même année, le Grand Prix Nanook du Festival International Jean-Rouch, et le Grierson Award for Best Documentary au London Film Festival.


Sunless Shadows aka Des ombres sans soleil. Réal, sc : Mehrdad Oskouei ; ph : Mehdi Azadi ; mont : Amir Adibparur (Iran, 2019, 73 mn). Documentaire.



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