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Sous le ciel de Koutaïssi (2021)
de Alexandre Koberidze
publié le mercredi 23 février 2022

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection en virtuel de la Berlinale 2021

Sortie le mercredi 23 février 2022


 


Sous le ciel de Koutaïssi, coule le Rioni, image banale du temps qui passe dans une ville semblant hors du temps. Le film nous entraine dans une expérience sensible de la durée, guidée par la belle voix off de Alexandre Koberidze (1) : "Il ne reste plus personne aujourd’hui pour se rappeler cette histoire". Une citation de Rezo Cheishvili (2) apparaît sur l’écran, comme une énigme qui l’inscrit dans la littérature géorgienne et le réalisme magique : "Ces crétins n’ont jamais vu un corbeau, pensait Guia A., mais on ne pouvait rien remarquer sur son visage".


 

Au commencement, l’amour et ses sortilèges. Après la sortie des classes de l’école n°22 où l’on découvre amplement gamins et gamines (3) et déjà un chien blanc dont la queue frétille, on assiste médusé à un coup de foudre filmé au ras des pieds, Lisa heurte Giorgi (ou l’inverse), un livre bleu tombe sur la tranche, les pieds des protagonistes tournent à 180°, et chacun repart d’où il vient avant de faire demi-tour et de reproduire la même scène deux fois. La nuit venue, ils se croisent dans l’obscurité. Afin d’abolir le hasard, Girorgi fixe un rendez-vous le lendemain soir au café du pont blanc.


 


 

Plus loin, à un carrefour, Lisa entend les mauvais présages apportés par le vent, une gouttière, une caméra de surveillance. Dans la maison au bord du fleuve, elle parle avec son amie Maya qui ne croit pas au mauvais œil. Lisa porte des bagues en pierres de jais contre le mauvais sort avant de s’endormir.


 


 

La voix de Alexandre Koberidze nous enjoint de fermer les yeux et de les rouvrir à la sonnerie. Passez muscade ! Lisa et Giorgi - que, spectateurs, nous avons si peu vus pour les identifier - se réveillent métamorphosés (substitution d’acteurs) et condamnés "au chagrin éternel" : s’attendre sans se reconnaître. Après ce coup de force, le film en 16 mm passe au numérique.


 


 

Giorgi le footballeur est exclu de l’entrainement, Lisa la pharmacienne ne comprend plus rien à ses cours de médecine. Désœuvrés, ils reviennent sur le pont comme aimantés par le lieu du rendez-vous manqué. Le patron du bar (Vakhtang Panchulidze) embauche Lisa à la vente des glaces, et demande à Giorgi d’installer un portique qui servira à tester l’endurance des clients, un jeu pour attrape-gogo afin de les attirer devant les écrans de la retransmission de la Coupe du monde de football. Les scènes avec le patron du bar sont filmées à distance, cinéma muet qui une fois de plus nous placent en spectateur actif.


 


 

La passion du football s’empare de Koutaïssi. Même les chiens - appelés par leur nom, Marzipana, Vardy - deviennent des supporters qui se partagent entre le café du théâtre et le café du pont blanc pour assister aux matchs. Un match amateur entre enfants se déroule dans un parc entre plans de coupe et ralentis. Giorgi et Lisa se rencontrent au café du pont, elle lui prépare des khachapuris (pain farci au fromage), mais contre toute attente, ils ne se souviennent de rien. Un couple de documentaristes, Nino et Irakli (joués par les parents du réalisateur), qui recherche cinquante couples pour les interroger, les filme. Lors de la projection en salle, ils se reconnaîtront grâce au pouvoir du cinéma mais nous ne le verrons pas. Le film s’achève sur les enfants à l’assaut d’un escalier vers le ciel, célébrant la victoire de Messi.


 

Lorsque Alexandre Koberidze pense à la crauté de cette époque tourmentée, dont un ciel d’orage est la métaphore, il doute : "Que dire aux enfants ? Que je faisais des films ?" Le ciel de Koutaïssi dépayse le regard, offre un voyage en cinéma et particulièrement en cinéma géorgien toujours un brin facétieux, comique, tendre et poétique. À la vue du plan (isolé) d’un enfant sous la lampe copiant sa leçon, on songe "Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes" (4)

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Sous le ciel de Koutaïssi, sélectionné au Festival de la Rochelle 2022, ,est le deuxième film de fiction de Alexandre Koberidze, né en 1984. Après 6 courts métrages, il a réalisé son premier film en 2017, Lass den Sommer nie wieder kommen (Let the summer never come again, 2017) où il évoque la guerre de 2008, présenté au FID de Marseille en 2017, où il a reçu Grand Prix de la compétition internationale.

2. L’écrivain et scénariste Rezo Cheishvili (1933-2015) est né à Koutaïssi (Géorgie, Union soviétique). Il est notamment le scénariste de Les montagnes bleues de Eldar Chenguelaia (1983), sélectionné en version restaurée à Cannes Classics 2014.

3. "Et de toute façon, y a-t-il quelque chose de plus beau que filmer les enfants ? Peut-être les chiens ?"

4. Baudelaire, "Le Voyage", dernier poème des Fleurs du Mal (1857).)


Sous le ciel de Koutaïssi (Ras vkhedavt, rodesac cas vukurebt ?) aka What do we see when we look at the sky ?. Réal, sc, mont, mu : Alexandre Koberidze ; ph : Faraz Fesharaki. Int : Oliko Barbakadze, Ani Karseladze, Giorgi Bochorishvili, Giorgi Ambroladze, Vakhtang Panchulidze (Géorgie-Allemagne, 2021, 150 mn).



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