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Cazals, Patrick (livre)
Charles Boyer, l’ardeur et l’élégance
publié le dimanche 23 janvier 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 408-409, été 2021

Patrick Cazals, Charles Boyer, l’ardeur et l’élégance, éditions du Horla, 2021.


 


Patrick Cazals, après quelques pauses dans son travail d’explorateur - quinze ans séparent Musidora, la dixième Muse (1978) de Serguei Paradjanov (1993) -, a multiplié les publications ces dernières années. Après son édition critique du Journal des 60 ans de Léon Moussinac (2019) (1), puis son mémorable Musidora-Pierre Louÿs, une amitié amoureuse (2020) (2), il nous délivre aujourd’hui ses récentes recherches sur Charles Boyer, qui viennent compléter le film qu’il avait tourné en 2019. (3)

La page de garde de l’ouvrage reproduit une vingtaine de couvertures de revues, Pour Vous, Ciné-Miroir, Cinémonde, Film complet, affichant le visage de l’acteur en majesté. On imagine mal aujourd’hui la gloire qui fut la sienne dans les années 30, décennie qui le vit se partager entre Paris et Hollywood, seule star française à briller également sur ces deux fronts et à atteindre un tel sommet. Car si sa carrière dans les studios français entre les débuts du parlant et la guerre fut courte - une poignée de titres signés Marcel L’Herbier, Anatole Litvak, Marc Allégret, Fritz Lang -, dès qu’il fut installé en Californie, à partir de 1935, il ne cessa de tourner, et avec les plus grands, Gregory La Cava, Frank Borzage, Clarence Brown, Leo McCarey, John Stahl, George Cukor, Enst Lubitsch, Otto Preminger, Douglas Sirk, Richard Fleischer, Vincent Minnelli, entre vingt autres. D’abord french lover, avec cet accent typique qui avait si bien réussi à Maurice Chevalier, il fut rapidement intégré, bien avant sa naturalisation (il devint citoyen américain en 1942). Rien de plus justifié que son succès outre-Atlantique.

Sa cinégénie, reconnue dès ses débuts, son aisance, son professionnalisme, sa capacité à se glisser dans les rôles les plus divers avec la même crédibilité le firent apprécier par les producteurs, les réalisateurs, ses partenaires féminines, et surtout le public, sans lequel rien ne se peut. (4)
Sa popularité tenait à ses qualités propres, mais aussi à celles de ses partenaires. Leur liste est éblouissante, et bien peu d’acteurs de l’époque peuvent se flatter d’avoir tourné avec une telle guirlande d’étoiles - Claudette Colbert, Katharine Hepburn, Loretta Young, Marlene Dietrich, Greta Garbo, Irene Dunne, Bette Davis, Margaret Sullavan, Olivia de Havilland, Rita Hayworth, Barbara Stanwyck, Joan Fontaine, Ingrid Bergman, Lauren Bacall, on en passe - qui fait de sa filmographie une promenade sur le Hollywood Walk of Fame. Et cela, tout en conservant, malgré son label de séducteur patenté, une réputation impeccable. Marié depuis 1934 à l’actrice britannique Pat Paterson, il n’est crédité d’aucune défaillance conjugale, au point que ne pouvant supporter sa disparition, il se suicida, à 79 ans, quelques jours après la mort de son épouse.

Entamée chez Marcel L’Herbier, avec L’Homme du large (1920), achevée chez Alain Resnais avec Stavisky (1974) et Vincente Minnelli avec A Matter of Time (1976), cette carrière de cinq décennies et demie est une des plus riches qui soient. Mais au-delà de l’acteur, il y avait un homme conscient, on oserait écrire "engagé" si le terme était encore permis. Contraint à l’éloignement après 1940 - il ne revint en France qu’en 1953, tourner avec Max Ophuls Madame de…  -, mais gaulliste actif, il soutint l’effort de guerre de façon particulière, en créant la French Research Foundation, service de documentation destinée aux cinéastes US afin d’éviter les bourdes dans leurs films censés se passer en France. Et en faisant de sa maison californienne un centre d’accueil pour tous les acteurs et techniciens qui avaient réussi à échapper à l’État français en ralliant Hollywood - Jean Renoir, Julien Duvivier, Victor Francen, Fernand Gravey, et Jean Gabin (les deux Pépé le Moko enfin confrontés)…

C’est pas à pas que Patrick Cazals décrit l’itinéraire de Charles Boyer, depuis sa naissance à Figeac (Lot) le 28 août 1899 (5) jusqu’à son décès le 26 août 1978, à Phoenix (Arizona). Sa passion du théâtre (dans les années 20, il fut bien plus souvent sur scène que dans les studios et devint un des interprètes préférés de Henry Bernstein - c’est lui qui créa Mélo en 1929, avec Gaby Morlay et Pierre Blanchar), sa préférence pour l’écran à partir de 1930, favorisé par sa voix "de velours" qui fit beaucoup pour sa conquête du public, l’implantation à Hollywood, et la suite.
Comme pour ses précédents travaux, l’auteur fait appel à des documents en grande partie inédits, correspondance et carnets personnels, qui nourrissent le récit sans l’ensevelir sous une érudition trop asphyxiante. Il restitue ainsi à Charles Boyer sa dimension exacte, qu’on pourrait croire un peu oubliée aujourd’hui. Mais il suffit de mettre dans son lecteur DVD Liliom de Fritz Lang (1934) ou Cluny Brown de Ernst Lubitsch (1946) pour le retrouver tel qu’en lui-même, "ardeur et élégance" mêlées.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 408-409, été 2021

1. Patrick Cazals & Jean-Louis Lods, Léon Moussinac. Journal des 60 ans, édition critique, Paris, ENSAD Éditions, 2018.
Cf. Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019.

2. Patrick Cazals, Musidora-Pierre Louÿs, une amitié amoureuse, Argenteuil, éditions du Horla, 2020.
Cf. Jeune Cinéma n°404-405, décembre 2020.

3. L’Énigme Charles Boyer de Patrick Cazals (2020) a été présenté au Festival de La Rochelle 2022, dans le cadre de la rétrospective Charles Boyer. Il accompagne le livre, dans le coffret, cf. infra.

4. Par exemple : Napoléon dans Marie Walewska (Conquest) de Clarence Brown (1937) ; Pépé le Moko dans le remake US Casbah (Algiers) de John Cromwell (1938) ; Michel Marnet, le séducteur oisif de Love Affair (Elle et lui) de Leo McCarey (1939) ; l’immigrant Georges Iscovescu de Par la porte d’or (Hold Back the Dawn) de Mitchell Leisen (1941) ; le musicien pervers de Hantise (Gaslight) de George Cukor (1944)...

4. Figeac, qui, après avoir longtemps négligé le plus célèbre de ses natifs, lui a rendu hommage pour le quarantième anniversaire de sa mort, en 1978, en donnant son nom au cinéma local, L’Astrolabe, et en organisant les désormais annuelles Journées Charles Boyer. La 4e édition a eu lieu les 15 et 16 juillet 2021.


Patrick Cazals, Charles Boyer, l’ardeur et l’élégance, récit, correspondances et textes inédits, Argenteuil, éditions du Horla, 2021, 230 p + L’Énigme Charles Boyer (2019), DVD, 60 mn.



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