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Gauteur, Claude (livre)
Henri-Georges Clouzot, l’œuvre fantôme (2017)
publié le mercredi 27 novembre 2019

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

Claude Gauteur, Henri-Georges Clouzot, l’œuvre fantôme, LettMotif, 2017.


 


Que Henri Georges Clouzot soit étrillé par Philippe Roger (1) ne nous déplaît pas. Même si, quoi qu’en écrive Paul Vecchiali, qui ferait mieux de regarder à sa porte, nous persistons à le considérer comme un cinéaste important de l’histoire du cinéma français, par ses films et l’ombre qu’ils continuent de projeter, la religion de la vache sacrée n’existe pas ici et chacun, dans les colonnes de Jeune Cinéma, peut cultiver ses prédilections et ses réticences. Aucun problème. Ce qui nous gêne, c’est l’affirmation, un peu expéditive, qu’il est condamnable parce qu’il "s’est trouvé du mauvais côté de la grande Histoire" en collaborant avec l’occupant à travers son travail pour la Continental, la société de production contrôlée par Alfred Greven.

Henri Georges Clouzot n’a pas été le seul réalisateur français dans ce cas : parmi les signataires des trente et un films produits par Greven, on trouve Henri Decoin, Georges Lacombe, Richard Pottier, Maurice Tourneur, André Cayatte, Léo Joannon, Christian-Jaque, Jean Dréville, Albert Valentin et Carlo Rim - sans compter Jean-Paul Le Chanois, Charles Spaak ou Pierre Véry qui écrivirent nombre de leurs scénarios, et n’évoquons pas Danielle Darrieux, qui ne se contenta pas de tourner pour la Continental, mais fit partie du fameux voyage à Berlin de mars 1942, pour des raisons sentimentales.
Parmi eux, aucun "collaborateur", du genre Jean Mamy ou Pierre Ramelot. Aucun n’a été ensuite considéré comme un traître qui aurait choisi le mauvais parti et classer le réalisateur du Corbeau (1943) comme collaborateur nous paraît un peu trop simple. Ce n’est pas parce que Le ciel est à vous (1943) connut des critiques dithyrambiques de la part de toute la presse collaborationniste, Lucien Rebatet en tête, que cela fait de Jean Grémillon un partisan de Vichy. Quant au Corbeau, ce "très controversé", rappelons qu’il ne l’a été qu’après la Libération et l’on sait le rôle fort peu glorieux que joua dans l’excommunication du film Georges Sadoul et la presse du Parti, allant jusqu’à inventer une sortie en Allemagne sous un titre bidon - on a depuis, fait justice de cette accusation. Le "Clouzot-bashing" est aussi ancien que le cinéaste, personnage peu accommodant, qui ne transigeait guère et fournissait les verges qui le fouetteraient.

Il y a quatre ans, Claude Gauteur avait rassemblé, sous le titre Clouzot critiqué (2) un florilège des polémiques éveillées au fil de la carrière du réalisateur. Cette fois-ci, il s’intéresse à la partie immergée du continent, ce cimetière de projets qui constitue l’essentiel du bilan de tous les cinéastes - rêvons sur l’édition des scénarios non tournés de Alain Resnais -, et ranime quelques travaux fantômes. Dont celui avec Jean-Paul Sartre, particulièrement fantomatique, puisqu’il n’a même pas de titre et semble, malgré les trois mois d’écriture commune, n’avoir pas laissé de traces. D’autres, portant un titre -La Chanson qui tue, Plaisir d’amour -, ont une existence invérifiable, d’autres encore sont conservés à la Cinémathèque française. Et les quelques pages reproduites en annexe font regretter qu’on n’en découvre pas la totalité.

Ainsi, même si on a du mal à retrouver, dans les treize pages (sur cent trente-trois) d’extraits de Par des chemins obscurs, les personnages et l’ambiance du roman de Nabokov, Chambre obscure, dont le scénario se voulait l’adaptation, on brûle d’en connaître plus. Comme les huit pages du Hotu, d’après le cycle de Albert Simonin, (que Claude Gauteur juge, avec raison, comme un chef-d’œuvre, qui vaudraient bien une édition in extenso.
Comme d’habitude avec l’historien, ses petits ouvrages ouvrent la route vers des explorations plus poussées - mais qui s’en chargera ? Quel directeur de maîtrise aiguillerait aujourd’hui un étudiant vers des recherches sur un sujet aussi daté et sans prestige ? Pourquoi pas Julien Duvivier ou André Cayatte ?

Dans sa bibliographie des publications de Henri Georges Clouzot de son vivant, Claude Gauteur énumère la dizaine de chansons que celui-ci écrivit dans les années 30, soit pour illustrer les films allemands dont il était chargé d’établir la version française - deux pour Château de rêve de Geza von Bolvary (1934), au programme du Festival Lumière d’octobre 2017. Ici, également, on souhaiterait en avoir plus à se mettre sous l’œil - par exemple, le texte du Jeu de massacre, chanson destinée à Marianne Oswald et reprise récemment par Juliette, ou celle de La Vierge Éponine, interprétée par les Frères Jacques -, plutôt que de devoir fouiller les brocantes à la recherche de "petits formats".

Ce précieux recueil, sous la fort agréable présentation coutumière de la collection de LettMotif - dimension poche de veste, couverture cartonnée - constitue un prélude à l’automne Clouzot qui s’annonce : Lyon en octobre, la Cinémathèque en novembre (3). Outre la retrospective de ses œuvres "reconnues", découvrira-t-on enfin la totalité de ses films coréalisés dans les années 30 et ceux qu’il avait scénarisés ?

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

1. "Le cinéma à l’épreuve de l’art : Clouzot et Grémillon, deux mondes irréconciliables", Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017..

2. Claude Gauteur, Clouzot critiqué Paris, Séguier, 2013.

3. Sur France Culture.


Claude Gauteur, Henri-Georges Clouzot, l’œuvre fantôme, La Madeleine, LettMotif, 2017, 84 p.



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