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Trois hommes et un couffin (1985)
de Coline Serreau
publié le mardi 8 mars 2022

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°170, novembre 1985

Sortie le mercredi 18 septembre 1985


 


Les films de Coline Serreau laissent dans leur sillage des traces bien reconnaissables : des situations cocasses mais révélatrices des mœurs actuelles, un sentiment persistant que le plaisir et le bonheur sont choses sérieuses, l’impression que l’auteur nous parle d’elle, de son travail, de sa vie, à mi-voix tout en se coulant, à l’aise et sans manières, dans des formes spectacles connues et aimées du grand public. Pourquoi pas (1977), son deuxième film, inversait les structures du Boulevard, analysait les rapports de pouvoir entre celle qui gagnait la vie et les deux hommes à la maison et - jolie fleur tardive de l’utopie de Mai - montrait que la jalousie pouvait disparaître avec ses précautions de propriétaire privé. Trois hommes et un couffin en reste proche et se balade sur le sentier du vaudeville avec son bébé - sur les bras - qui met sur le flanc trois solides célibataires, un itinéraire compliqué de main de maître : le quiproquo central qui fait prendre pour un paquet de came, un bébé au berceau, fait courir à tort et de travers des flics et des truands.


 


 

Pourquoi donc une certaine hargne suscitée par le film ? Pourquoi serait-il "réac" de filmer un bébé porte-bonheur ? (1) Pourquoi agencer un bon imbroglio, donner aux comédiens un rôle et des dialogues en or, impliquerait la nullité d’une mise en scène ? Le bébé miraculeux, c’était le thème d’un grand Harry Langdon, et personne n’accusait Papa d’un jour de sentimentalisme ? (2)


 


 

L’anecdote, trois hommes de notre temps : un steward, un architecte, un dessinateur partagent un bel appartement. Une seule règle, pas de femme à demeure. Quand le steward s’envole pour les paradis thaïlandais, il laisse de la part d’un vague collègue une consigne aux amis : on déposera lundi un paquet précieux qui sera repris vendredi. Le lundi dit, c’est le bébé qui sonne à la porte et le tintouin provoqué fait que personne ne repère le vrai colis apporté par le concierge. Bref, c’est le bébé que filent flics et truands et la came, elle...


 


 

Le scénario est incisif et marrant, il permet à Coline Serreau de s’amuser avec des silhouettes aussi conventionnelles que l’agent en uniforme, le commissaire de la brigade des stups, les truands étonnés et un sympathique stagiaire policier qu’on aperçoit dans deux rôles opposés : l’ombre qui file le bébé en balade et le chômeur (vidé de la police) qui tourne un peu autour des pères adoptifs parce qu’il a flairé chez ces trois bons hommes un léger parfum d’amitié et de bonheur. Ce petit pas de côté qui permet à ce personnage très fugitif d’entrevoir quelque chose de neuf, c’est, en minuscule, l’itinéraire que font les trois personnages.


 


 


 

Le bébé à laver, à nourrir, à dorloter quand il crie, c’est tout simplement l’apparition de l’amour qui frappe de néant tout ce qui fait les routines et l’inauthenticité de la vie : les filles interchangeables, les repas d’amis qui n’en sont pas, le bel appartement bourré d’objets chers. Le bébé a un côté dévastateur ; ce n’est pas un hasard (ni un sacrifice à la mode du polar) que le plus beau morceau du film soit un travelling lyrique sur l’appartement dévasté par les truands qu’accompagne un morceau de Schubert, tandis qu’indifférent au saccage, Michel Boudjenah cherche le bébé disparu. Lui fait contrepoint, le retour du steward, les bras chargés de cadeaux et qui, lui, découvre consterné le naufrage de sa chambre.


 


 

Alors que Harry Langdon jouait plus sur l’identité du bébé et de l’adulte pas mûri, Coline Serreau joue sur ces deux pôles - dévastation / découverte de l’amour -, et filme, comme rarement au cinéma, la sensualité qui émane des attouchements. On le sent sur le plan de l’anecdote, à la grande gêne ou pudeur qu’éprouve celui qui est pris en flagrant délit de tendresse, et aussi par cet éclairage stupéfiant dont l’auteur nimbe ce qu’elle filme, quelque chose de doux, de doré, de nuancé qui entoure choses et espaces.


 


 

Il y a bien d’autres richesses dans le film : le dîner des copains, dans le style Bouvard et Pécuchet dissertant sur l’enfant, la visite à la pharmacie, l’arrivée de la "seconde maman". Une séquence très brève montre quelques secondes la fille avec le bébé, nous sommes aux deux tiers du film, la mère est revenue de son voyage, a repris le bébé et laisse désemparés les trois hommes. L’un d’entre eux va l’épier sur son lieu de travail. Le berceau est là, tout seul sous l’escalier, la fille, qui est mannequin, descend avec ses camarades photographes, fringuée-mode, elle les lâche : "J’ai oublié mon sac, je remonte, à demain" - et elle va vers le berceau, elle balbutie : "Tu sais, ce n’est pas ma faute, viens mon bébé, on va dîner tous les deux". Quand elle revient avec sa pauvre mine exténuée rendre aux garçons le bébé parce qu’elle n’en peut plus, ça vaut dix manifestations sur la femme au travail et la difficulté de vivre avec un enfant.
Si c’est être "réac" que d’aimer le film de Coline Serreau, soyons résolument réactionnaires.

Andrée Tournés
Jeune Cinéma n°170, novembre 1985

1. Nous ne savons pas à quelle "hargne" Andrée Tournès fait allusion. Il faudrait revoir les critique de l’époque, les réalisatrices n’étaient pas très nombreuses. Le grand public, lui, n’a pas eu peur d’être "réac", et le film a obtenu un grand succès, avec trois César en 1986, et une nomination à l’Oscar du Meilleur film étranger. Il a également fait l’objet d’un remake américain, Trois Hommes et un bébé (3 Men and a Baby) de Leonard Nimoy (1987).

2. Papa d’un jour (Three’s a Crowd) de Harry Langdon (1927).


Trois hommes et un couffin. Réal, sc : Coline Serreau ; ph : Jean-Yves Escoffier & Jean-Jacques Bouhon ; mont : Catherine Renault ; déc : Ivan Maussion. Int : Roland Giraud, Michel Boujenah, André Dussollier, Philippine Leroy-Beaulieu, Dominique Lavanant, Marthe Villalonga, Marianne Basler, Gilles Cohen, Jacques Poitrenaud (France, 1985, 106 mn).



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