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Sans frapper (2019)
de Alexe Poukine
publié le mercredi 9 mars 2022

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 9 mars 2022


 


Le spectateur est actuellement habitué à entendre parler de la condition féminine et du viol d’une manière générale. Habitué, mais peut-être pas encore blasé, du moins on l’espère, depuis que le mouvement #metoo a médiatisé ce problème d’une manière souvent trop brutale et comminatoire. Au contraire, le travail de Alexe Poukine, réalisé avant l’affaire Weinstein qui a ébranlé le milieu du cinéma (1), est intéressant justement parce qu’il propose une mise à distance et une intelligence qui manquent souvent aux combats militants trop frontaux, notamment ceux hérités du monde anglo-saxon.


 

Ainsi, avec ce film réalisé à Bruxelles, la réalisatrice, dont c’est le deuxième film (2), nous délivre le portrait d’une jeune fille, Ada, dont on ignore tout au début, et pour laquelle le mot viol n’est pas prononcé d’entrée. Celle-ci est venue un jour à sa rencontre alors qu’elle présentait un film, lui a annoncé qu’elle avait écrit un texte pour se délivrer du souvenir de son viol, à plusieurs reprises par le même homme qui était un proche.


 

Ce récit l’étonne et la dérange. Elle se vit comme une "féministe primaire", et pourtant elle éprouve une sorte de scepticisme. Cela ne correspond pas à son idée du viol, et, en plus, il y a des des incohérences dans le récit, et des sauts dans le temps. Elle décide d’aller plus loin pour comprendre, travaille sur les mécanismes de la mémoire post-traumatique, et enregistre le récit d’Ada pendant deux ans.


 

Alexe Poukine adapte ensuite ce texte pour lui permettre de vivre à travers les visages et les voix d’une dizaine de personnes différentes, et réussit ainsi à imposer un "nous" qui sensibilise plus que tous les tracts et toutes les dénonciations publiques. La réalisatrice propose ainsi au spectateur une sorte de distanciation, puisque Ada n’apparaît pas à l’écran, et que ses mots sont interprétés par différentes personnes cadrées comme pour un documentaire.


 

"Si le film mélange jeu et témoignage en une mise en abyme du récit à travers ses protagonistes, déclare-t-elle, il s’agit bel et bien d’un documentaire, qui documente non seulement l’histoire d’Ada, mais aussi celles des personnes qui l’incarnent et font liens avec elle".
Cela donne une force incroyable à cette dénonciation démultipliée du viol.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Affaire Weinstein (2017).

2. La photographe belge Alexe Poukine a réalisé son premier film, un documentaire, en 2014 : Dormir, dormir dans les pierres.


Sans frapper. Réal : Alexe Poukine ; ph : Elin Kirschfink ; texte : Ada Leiris ; mont : Agnès Bruckert. Int : Conchita Paz, Epona Guillaume, Aurore Fattier, Marijke Pinoy, Marie Préchac, Sophie Sénécaut, Anne Jacob, Tristan Lamour, Noémie Boes, Maxime Maes, Yves-Marina Gnahoua, Tiphaine Gentilleau, Séverine Degilhage, Laurence Rosier (France, 2019, 83 mn). Documentaire.



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