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Ombre d’un mensonge (l’) (2019)
de Bouli Lanners
publié le mercredi 23 mars 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 413-414, février 2022

Sortie le mercredi 23 mars 2022


 


Tourné dans le nord de l’Écosse, sur l’île de Lewis herbeuse, rocailleuse et battue par les vents, le cinquième long métrage de Bouli Lanners - après Ultranova (2004), Eldorado (2008), Les Géants (2011), Les Premiers, les Derniers (2016) - est une histoire d’amour. L’événement se déroule au cœur d’une communauté presbytérienne très pieuse, où Millie, interprétée avec retenue et finesse par Michelle Fairley, brûle d’un amour secret pour Phil, l’employé de son père, incarné par le réalisateur lui-même. Celui-ci, devenu amnésique après une attaque cérébrale, se replie dans le silence et le doute, mais les paroles chimériques de Millie au sujet de leur vie commune avant l’accident, l’entraînent à vivre avec elle un amour clandestin.


 


 

Rarement la sauvagerie du paysage, son isolement, son esseulement, ont offert autant de profondeur aux sentiments, comparables à ceux des romans de Emily Brontë. À la violence des éléments, du vent, de la mer, répond en écho la force de l’amour, interdit et empêché par la morale, la conduite religieuse ou la banale timidité. On y retrouve un peu le puritanisme exacerbé de la communauté mennonite mexicaine de Lumière silencieuse de Carlos Reygadas (2007). Cadrages parfaits, limpidité et clarté de la lumière, composition des tableaux dans l’espace, immensité et grandeur des territoires, rigueur des plans, attention particulière aux détails, aux objets, aux lieux. La représentation du groupe humain contraint et codifié par l’austérité des préceptes religieux, telles les silhouettes noires en longue procession muette, ajoute au climat feutré, presque étouffé, de la vie sociale en ces lieux.


 

L’économie des dialogues répond au langage des regards dissimulés, furtifs, toujours expressifs même dans l’incompréhension d’une situation. Certains plans de Millie, de dos face à la mer, évoquent les tableaux de Caspar David Friedrich et distillent une certaine mélancolie, amplifiée par la musique "Wise Blood" des Soulsavers. Dans la sobriété et l’intensité des scènes, Bouli Lanners travaille forme, volume, lumière et durée. Tel ce long plan sublime dans l’église, cadré en zoom avant sur les deux mains qui se découvrent, se rencontrent et se lient dans un geste d’une grâce infinie, d’une sensualité charnelle et voluptueuse, bercé toujours par la musique errante et vagabonde. L’histoire d’amour de Bouli Lanners n’est pas un mensonge, mais seulement l’ombre de celui-ci, il est la part du mystère d’un amour qui devait éclore un jour.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 413-414, février 2022


L’Ombre d’un mensonge (Nobody Has to Know). Réal : Bouli Lanners & Tim Mielants ; sc : B.L. & Stéphane Malandrin ; ph : Frank Van den Eeden ; mont : Ewin Ryckaert ; cost : Elise Ancion. Int : Michelle Fairley, Bouli Lanners, Julian Glover, Clovis Cornillac, Therese Bradley, Cal MacAninch (Belgique-France-Grande-Bretagne, 2019, 99 mn).



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