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Tickets (2005)
de Ermanno Olmi, Abbas Kiarostami et Ken Loach
publié le jeudi 19 février 2015

Un triptyque contrasté
par Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n°314, décembre 2007

Sélection officielle de la Berlinale 2005

Sortie le mercredi 28 novembre 2007


 


Olmi-Kiarostami-Loach. L’affiche est prometteuse. Le spectateur potentiel peut s’attendre à une œuvre éblouissante… à moins que chacune des nouvelles qui composent ce triptyque ne neutralise les deux autres. Le résultat apparaît finalement contrasté. À l’origine, il s’agit d’un projet voulu par Abbas Kiarostami. Ce devait être trois documentaires, ce sera finalement un film unique, de fiction, autour d’un voyage en train entre l’Autriche et l’Italie.


 

Ermanno Olmi concentre son propos autour des états d’âme d’un professeur de pharmacologie (Carlo Delle Piane) qui rencontre une jeune femme en Autriche. Celle-ci s’active pour lui permettre de retourner en Italie. Le vieil homme est subjugué par la beauté de Sabine, qui lui rappelle des souvenirs de jeunesse. Le cinéaste semble lui aussi fasciné par son interprète, Valeria Bruni Tedeschi, qu’il filme plusieurs fois en gros plans pour dire l’émoi ressenti par notre professeur.


 


 

L’actrice, curieusement doublée dans sa langue maternelle, se retrouve donc réduite à jouer les utilités, le dialogue se limitant le plus souvent à quelques propos d’une banalité confondante. Ermanno Olmi a cru bon d’ajouter à son dispositif une vague menace terroriste. Lors du voyage, un militaire à la mine antipathique s’acharne sur une pauvre famille albanaise. Notre héros pourra alors montrer toute l’étendue de sa bonté. Tout ceci est censé nous émouvoir. Or, si on ajoute une utilisation simpliste des flash-back, une voix off soulignant la situation, une utilisation peu originale de la musique (puisqu’il s’agit de nostalgie, allons-y pour Chopin…), on comprendra que les 30 minutes du sketch pourront sembler bien longues, alors qu’il s’agit de la partie la plus courte de l’ensemble.


 

Tout autre est l’impression dégagée par Abbas Kiarostami. Celui-ci concentre son propos sur un savoureux personnage de veuve acariâtre d’un général, incarnée à merveille par Silvana De Santis. Accompagnée par un jeune homme effectuant avec elle son service civil, elle ne cesse de se montrer désagréable envers les personnes qu’elle rencontre, à commencer par un voyageur, lors d’une scène particulièrement réussie de confusion autour de la possession d’un téléphone portable. Subtilement, le cinéaste ponctue cette évocation par le dialogue frais et émouvant entre deux jeunes gens (dont le jeune accompagnateur), dialogue que l’ire de la dame opulente ne cesse de contrarier. Derrière ces manifestations d’un caractère insupportable, auquel le jeune homme finira par échapper, Abbas Kiarostami laisse entrevoir magnifiquement la solitude, les fêlures d’une femme en souffrance.


 

On retrouve ici l’une des constantes du cinéma de l’auteur du Goût de la cerise  : le doute par rapport à la réalité. La place dans le train a-t-elle réellement été réservée par la veuve ? Le téléphone portable est-il bien le sien ? Même si ces questions trouvent une réponse dans le film, Abbas Kiarostami ne cesse de s’interroger sur le rapport que nous pouvons entretenir avec la vérité, se rapprochant par là même de Jean Renoir, celui évoquant le fait que chacun ait ses raisons…


 

Ken Loach enfin nous propose un véritable concentré de son art.
Trois jeunes Écossais venus à Rome pour soutenir leur équipe de football vont se retrouver confrontés à la question de l’engagement, ici en faveur d’une famille démunie.
Comment vaincre la peur qui peut nous étreindre lorsqu’il s’agit d’aider quelqu’un en difficulté, lorsque l’on risque soi-même de perdre quelque chose ?
Cette question, récurrente chez le réalisateur anglais, se retrouve formidablement mise en scène ici, avec la complicité de trois jeunes acteurs confondants de naturel, au premier rang desquels Martin Compston, déjà rencontré dans Sweet Sixteen.
"Ceux qui m’aiment prendront le train", affirmait Patrice Chéreau, il y a quelques années. Avec Abbas Kiarostami et Ken Loach, on est prêt à repartir au plus vite.

Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n° 314, décembre 2007


Tickets. Réal : Ermanno Olmi, Abbas Kiarostami, Ken Loach ; sc : E.O., A.K., Paul Laverty ; ph : Fabio Olmi, Mahmoud Kalari, Chris Menges ; mont : Giovanni Ziberna, Babak Karimi, Jonathan Morris. Int : Carlo Delle Piane, Valeria Bruni Tedeschi (1), Silvana De Santis, Filippo Trojano (2), Martin Compson, William Ruane, Gary Maitland (3) (Grande-Bretagne-Italie, 2005, 105 mn).



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