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Mer-Khamis, Juliano (1958-2011)
Une vie, une œuvre
publié le mardi 5 juillet 2011

par Janine Halbreich-Euvrard
Jeune Cinéma n°338-339, été 2011

Juliano Mer-Khamis (1958-2011)


Le cinéaste et acteur Juliano Mer-Khamis a été assassiné de 6 balles le 4 avril 2011 par des hommes armés devant l’entrée du Freedom Theatre à Jenine, dans le nord de la Cisjordanie.
Touché à la tête il est mort sur le coup, dans sa voiture. Un suspect, Moujaed Qanniri, a été arrêté. Ancien membre des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, il avait été détenu pendant plusieurs mois par l’Autorité palestinienne pour vente d’armes présumées au Hamas.
Juliano repose au côté de sa mère au cimetière du kibbutz Ramot Menashe.

La mort de Juliano, "Jul" pour ses amis, m’a frappée en plein cœur. Et puis tout d’un coup, le passé s’est mis à défiler à la vitesse de bobines de film, incontrôlés, incontrôlables, et je me suis souvenue…
Souvenue de mon séjour en Palestine et en Israël au printemps 2004, souvenue de mon séjour à Haïfa et à Jenine, de ma rencontre avec Juliano à Haïfa devant un bistro ; tout ce que ses amis m’avaient dit de lui était vrai. Très grand, très beau, les cheveux longs (je le reverrai à Paris, la boule à zéro !), un grand sourire accueillant.

Au cours de l’entretien, je perçois une très grande violence, à peine contenue. Déchiré toute sa vie entre ses deux appartenances, à Israël par sa mère et à la Palestine par son père, Juliano en aura constamment souffert. Je passe la journée chez lui dans une maison sur les hauteurs de Haïfa, qu’il a héritée de sa mère. Nous bavardons, ou plutôt, il parle et moi j’enregistre.

"Le moment le plus dur pour moi a été vers 15-16 ans, lorsque je suis devenu conscient de mon identité personnelle et politique. Nous étions élevés dans une communauté juive, nous allions à l’école juive, j’avais une petite amie juive. Je suis entré dans l’armée israélienne en cachant mon identité palestinienne. Je suis devenu plus royaliste que le roi en m’enrôlant dans les forces spéciales parachutistes !"

En 1978, ironie du sort, il est posté à un checkpoint à l’entrée de Jenine ! C’est le choc : "Des gens de ma famille de Nazareth sont venus. J’ai eu honte, je n’oublierai jamais ce jour, j’aurais dû contrôler leurs papiers, je me suis caché le visage".
Juliano refuse de faire sortir un très vieil homme de la voiture, s’ensuit une violente altercation avec l’officier israélien et il se retrouve en prison.
Moment décisif pour lui, il est Juif et Arabe. Son parcours est tout tracé.

En 2003, il tourne son unique film en tant que réalisateur, Les Enfants d’Arna, l’histoire de la troupe de théâtre pour enfants fondée par sa mère à Jenine. Il fera toute sa vie la navette entre Haïfa et Jenine, sur les traces de sa mère Arna, au Freedom Theatre, bâti en 2006, théâtre et centre culturel dans le camp de réfugiés de Jenine. À la mort d’Arna, Juliano reprendra la direction du théâtre.
Son dernier projet, une adaptation d’Animal Farm de George Orwell.

Toute sa vie, Juliano a rêvé de créer un pont entre Juifs et Arabes, Israéliens et Palestiniens. Déjà, il y a quelques années, des membres du Hamas l’avait sommé de faire des coupes dans son film, il avait refusé soulignant qu’à chacun son métier : lui ne se battait pas avec des armes, mais à travers le cinéma. Le Hamas ne lui aura pas pardonné.

Avec l’assassinat de Julio Mer-Khamis meurt une des dernières brêches encore ouvertes dans le conflit israélo-palestinien, et un des espoirs des pacifistes pour la paix s’évanouit.
"Juliano représentait tout ce qui est beau et terrible dans notre pays, son histoire est l’histoire de ce pays", a dit le metteur en scène Avi Nesher.

Janine Halbreich-Euvrard
Jeune Cinéma n°338-339, été 2011

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