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Cemetery of Splendour (2015)
de Apichatpong Weerasethakul
publié le mardi 1er septembre 2015

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°366-367, été 2015

Festival de Cannes 2015

Sortie le mercredi 2 septembre 2015


 

Cemetery of Splendour est un film particulièrement avare en gros plans.

S’agissant de l’héroïne elle-même, Jenjira, qui se dévoue à soigner des soldats, elle n’y a droit, sauf erreur de ma part, qu’une seule fois lorsque, au plan final, elle écarquille les yeux, comme emplie des splendeurs évoquées tout au long de l’œuvre.

Apichatpong Weerasethakul privilégie donc les plans larges ou généraux, qui ont pour vertu de "noyer" les locuteurs.

On est loin ici du visage communicant du cinéma classique, celui où la "bouche parle" (Jacques Aumont) plus que la voix.

Ce qui intéresse Weerasethakul, ce n’est donc plus la communication, mais les émanations, les fluides, ce qui circule entre les êtres, mais aussi ce qui exsude des bruits de la nature et des voix.

Autre conséquence de ce choix esthétique (la voix émane du plan, elle ne sort plus d’une bouche), l’échange des valeurs qu’il autorise, pour peu que l’imagination du spectateur y prenne part (on y reviendra) : échange entre le dessus (une école reconvertie en hôpital consacré à soigner des soldats atteints d’une étrange maladie du sommeil) et le dessous (une cité royale qui, "aspirant" l’énergie des soldats du dessus, se livrerait à d’incessants combats), entre la veille et le sommeil (vus de loin, on ne sait si les soldats rêvent ou s’ils sont éveillés), entre la vie et la mort, entre le réel et les arrière mondes (une femme médium, Keng, peut lire les rêves et deviner les vies antérieures).


 

Ainsi, au cours d’une longue séquence, Keng conduit-elle Jenjira à travers la forêt en évoquant les palais disparus, les mirages oubliés.

C’est sans doute là où le film trouve son aporie, car, comme l’écrivait Raoul Walsh, "a tree is a tree" ("un arbre est un arbre"), une forêt est une forêt, de telle sorte que l’on peine à se laisser envoûter par les beautés ainsi convoquées par la seule puissance de la parole.

Contrairement à Jenjira, il ne suffit pas d’écarquiller les yeux pour faire naître l’invisible.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°366-367, été 2015

Cemetery of Splendour (Rak Ti Khon Kaen). Réal, sc : Apichatpong Weerasethakul ; ph : Diego Garcia ; mont : Lee Chatametikool. Int : Jenjira Widner, Banlop Lomnoi, Jarinpattra Rueangram (Thaïlande-Grande-Bretagne-Allemagne-France-Mali, 2015, 122 mn).

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