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Famille (la) (1987)
de Ettore Scola
publié le mercredi 21 août 2019

par Mireille Pelinq
Jeune Cinéma n° 183, automne 1987

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1987

Sortie les mercredis 19 août 1987 et 21 août 2019


1906-1986 : deux photos de groupe ouvrent et ferment le film. Le temps d’une vie, un groupe s’efface, un autre le remplace. La tache blanche des cheveux de Carlo (Vittorio Gassman) s’est substituée aux dentelles du berceau de son baptême. Lui-même a pris la place de son grand-père. Son petit-fils, Carletto, prendra un jour la sienne… Une boucle du temps se referme, une autre s’amorce, semblable.

Le sujet de La Famille, c’est cet éternel tour de passe-passe de la vie, la fuite du temps, la succession des générations. Beau lieu commun, digne de l’ironique liste des idées reçues que lance Carlo à Adriana à la fin du film. Mais le lieu commun, brossé à neuf par le trio Maccari-Scola-Scarpelli, tient la distance de la longue promenade à travers la vie de Carlo et diffuse à la fin une émotion tangible, par le jeu des identifications.
Le fil conducteur est ténu, pourtant : Carlo et Adriana s’aiment passionnément, mais elle ne veut pas lui sacrifier sa carrière de pianiste, et lui suivra la voie tracée par son grand-père à l’université de Rome et fondera sa famille avec la sœur d’Adriana, Béatrice. Les retours et les fuites précipitées d’Adriana constituent toute l’intrigue.

Nous ne voyons aucun des événements de la vie des personnages.
À cet égard, le portrait du grand-père substitué à son visage sur son lit de mort au début du film prend un sens métaphorique. Le film ne montre que les résonances des événements particuliers ou les effets de l’Histoire sur la vie des personnages.

Le grand appartement romain, lieu unique où ils se retrouvent périodiquement, sert de chambre d’écho à la vie extérieure. La ligne du temps qui fuit passe par le long couloir parcouru par la caméra, de décennie en décennie. Les personnages vieillissent, les costumes, l’ameublement changent, en même temps que des rythmes musicaux, des informations, un klaxon, datent les époques. Le monde extérieur entre dans le lieu clos par le récit off, les photos, le téléphone, la télévision et les retours des personnages qui ont vécu guerres, fascisme ou libération.

Comme il l’avait fait dans Une journée particulière ou dans Nous nous sommes tant aimés, (1) Scola lie la vie des personnages à l’Histoire, à l’environnement moral et social. Nous nous sommes tant aimés ouvrait sur divers espaces, sur les milieux fréquentés par les trois amis. Mais en allongeant à quatre-vingts ans la perspective temporelle, Scola pouvait tomber dans le schématisme et l’émiettement.

Dans La Famille, il revient au huis clos de Une journée particulière.
Le rapport inversement proportionnel de temps et de l’espace lui permet de sauvegarder la consistance et la cohérence des personnages, bien dessinés et bien interprétés par Vittorio Gassman, Fanny Ardant et Stefania Sandrelli.

Pour n’en donner qu’un exemple, tel épisode de l’enfance (le vol d’une pièce de monnaie) pose des traits permanents des deux frères, Carlo et Julio : sottise et faiblesse de celui-ci, réserve prudente de celui-là, qui, malgré ses emportements, préfère l’expectative et s’accommode des "arrangements" de la vie. L’un d’eux fort bien traduit par le montage cut d’une violente scène de rupture avec Adriana et d’une séquence paisible où Carlo et son fils savourent tranquillement des pastèques.

Le film trouve sa respiration entre violence et tendresse, humour, satire légère et nostalgie. On est loin des sarcasmes et de la cruauté de Affreux, sales et méchants ou des Monstres. La famille élargie, conviviale, imaginée par Scola vieillissant est-elle encore possible ? Est-elle rêvée ? C’est en tout cas le lieu où l’on vous aide à vivre, à acquérir une certaine sagesse. Tel est le ton du bilan que font à la fin Carlo et Adriana : il a bien fait d’épouser Béatrice, de préférer les douceurs du foyer aux déchirures de l’amour fou.

Le film décrit avec bonheur les petites joies au jour le jour, les fous-rires, les anniversaires, les fêtes enfantines. Le cocon familial secrète des oncles stupides, des femmes jacassantes, mais aussi et surtout des mères nourricières, des servantes tutélaires qui maternent et nourrissent les petits et les vieux enfants. C’est dans la cuisine, le lieu des femmes de son passé, que Carlo, veuf et solitaire, se réfugiera à la fin. Son petit-fils aura pour lui le geste symbolique de la mère : la becquée de spaghettis tendus vers sa bouche.

Si Scola n’a pas, dans ce domaine du retour aux sources, le lyrisme d’un Fellini ou l’ampleur des Taviani, il rend sensible, en moraliste, un retour dans la sensibilité contemporaine du désir de renouer avec ses origines et de se perpétuer pour survivre et s’intégrer au monde.

Mireille Pelinq
Jeune Cinéma n°183, automne 1987

1. Nous nous sommes tant aimés (C’eravamo tanto amati, 1974) ; Une journée particulière (Una giornata particolare, 1977).

2. Affreux, sales et méchants (Brutti, sporchi e cattivi, 1976) ; Les Nouveaux Monstres (I nuovi mostri), film à sketches réalisés par Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola (1977) est la suite des Monstres (I mostri) de Dino Risi (1963).


La Famille (La famiglia). Réal : Ettore Scola ; sc : Ruggero Maccari, Furio Scarpelli, Ettore Scola ; ph : Ricardo Aronovich ; mont : Francesco Malvestito ; mu : Armando Trovajoli. Int : Vittorio Gassman, Fanny Ardant, Stefania Sandrelli, Philippe Noiret, Sergio Castellito, Ricky Tognazzi, Ottavia Piccolo (France-Italie, 1987, 122 mn).



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