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Chèvres de ma mère (les) (2013)
de Sophie Audier
publié le lundi 4 juillet 2016

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°359 mai 2014

Sortie le mercredi 16 avril 2014


 


Sophie Audier nous offre un beau film qui réunit quatre générations de femmes - et des chèvres magnifiques, véritables stars du film.
Depuis 1983, la machine infernale de l’Europe est passée, transformant le paysan en une sorte de Joseph K., face à la Loi et à l’Administration. Le film montre une passation de propriété, et surtout de savoir-faire, entre une éleveuse qui prend sa retraite et une jeune femme qui veut reprendre la propriété et l’élevage des chèvres. Fraîchement émoulue d’une école d’agriculture, elle est peu au fait de l’horreur administrative européenne - le tournage du film a duré trois ans et Anne-Sophie, la nouvelle éleveuse, n’a toujours pas obtenu l’autorisation de s’installer.


 

Maguy, la mère du titre, s’est installée en 1970 sur un plateau isolé des gorges du Verdon. C’étaient les années baba-cool du retour à la terre et l’administration faisait alors moins de complications. Sa fille, la réalisatrice, a opté pour le cinéma. Elle filme sa mère, contrainte à la retraite, soudain obligée de céder, la mort dans l’âme, son troupeau. Elle le cède à Anne-Sophie qui va apprendre de Maguy et l’échange est parfois rude. Voici la troisième génération de femmes sur le plateau, l’une élève et l’autre pas. Puis, comme les tractations avec l’administration s’éternisent, la réalisatrice a eu le temps d’avoir un enfant, la petite Zélie. Et voici donc la quatrième génération qui entre dans le champ et semble aimer les chèvres tout autant que mère et surtout grand-mère.


 

Sophie Audier fixe des plans magnifiques sur la montagne en toute saison. La narration se fait directement entre les personnes filmées et la réalisatrice, toujours off, mais présente par sa voix, puisque c’est elle que l’on entend poser les questions. "Je ne filmais pas seulement deux femmes qui se transmettent une exploitation, je filmais ma mère. J’étais la fille devenue cinéaste qui ne reprenait pas le troupeau familial. D’où cette envie d’être une véritable interlocutrice, mobile, vivante et complètement intégrée à l’histoire", déclare-t-elle.
À travers la beauté des paysages, la tendresse qui s’exprime parfois et la mélancolie diffuse que dégagent la montagne et la vie dure de ses habitants, on sent dans ce milieu presque exclusivement féminin, la volonté d’exister, l’ancrage au sol, mais surtout la pugnacité nécessaire pour résister à la bureaucratie.


 

Enfin, nolens volens, ce film renvoie l’image du terrien-démiurge qui tient à mettre en pré carré la nature. Et pendant ce temps, depuis Platon, la chèvre nous regarde, mi-affectueuse, mi-goguenarde. C’est cette ambivalence que le film montre bien en faisant de cette passation d’exploitation agricole une sorte de légende, pas si dorée que ça.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°359 mai 2014


Les Chèvres de ma mère. Réal, sc, ph : Sophie Audier ; sc : Isabelle Marina ; mont : Cécile Dubois (France, 2013, 97 mn). Documentaire.



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