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Tornerranno i prati (2014)
de Ermanno Olmi
publié le lundi 1er mars 2021

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°369-370, décembre 2015

Inédit en France


 


"La guerra è una brutta bestia che gira il mondo e non si ferma mai", Toni Lunardi, berger. (1)
Cette citation vient clore le dernier film de Ermanno Olmi, réalisé à l’occasion des célébrations de la Première Guerre mondiale, mais dont le propos ne revêt à aucun moment un tour commémoratif.
Nous sommes en 1917, durant l’hiver sur le plateau d’Asiago qui domine la province de Vicence, tout près de là où le réalisateur vit depuis plus de quarante ans et dont le voisin était le grand écrivain Mario Rigoni Stern. (2)
Un groupe de soldats italiens vit dans une tranchée ensevelie sous la neige dans la fausse torpeur de ce que l’on appelle la "guerre blanche", au son des canonnades autrichiennes. Personne à l’horizon, seuls le lièvre et le renard parcourent furtivement l’épais manteau neigeux. Les hommes grelottent, attendant leur ration et le courrier, les ordres du commandement.


 

Ermanno Olmi concentre l’action du film en l’espace d’une nuit de pleine lune, celle qui précède l’ordre de repli après la défaite de Caporetto. Ordre est donné d’installer un poste téléphonique sur un endroit situé dans la ligne de mire des tireurs autrichiens.
Le premier homme envoyé est tué après quelques mètres parcourus en rampant dans la neige. Un autre désigné par un officier se tire une balle dans la tête en disant qu’il préfère mourir dans la tranchée plutôt que dehors.


 

Le film ne se limite pas à reprendre des situations déjà vues dans d’autres films, Les Hommes contre de Francesco Rosi, par exemple. Ermanno Olmi imprime son style fait de retenue, d’attention à des détails de la vie de ces pauvres soldats en sursis. Les dialogues se limitent à l’essentiel, dits sotto voce. Le seul moment de colère vient d’un sous-officier qui réclame que l’on inscrive sur les registres les noms des hommes tombés "uno per uno" (nom par nom). Un jeune lieutenant, tout juste sorti de l’université, est désigné pour diriger le groupe. C’est lui qui ouvre le film, écrivant le début d’une lettre à sa mère et que l’on retrouve vers la fin, continuant sa missive, regard caméra.


 

Le film baigne dans une lumière qui épuise les couleurs. La pleine lune sur un paysage recouvert de neige, la lueur rare dans la tranchée, les costumes et les visages sales, s’affranchissent à peine du noir et blanc.
Et pourtant le film offre des moments de pure poésie : les animaux dans la neige, l’arbre qui se teinte de couleur dorée sous le regard du guetteur, la montagne filmée de loin qui dessine l’architecture du plateau (l’altopiano), le soldat de garde qui chante une chanson napolitaine. Mario Rigoni Stern aurait aimé ce film, tant il retrouve les accents de ses écrits sur la guerre et la nature.

La brève séquence finale d’images d’archives situe cette histoire dans son contexte et, surtout, souligne la colère intérieure qu’éprouve Ermanno Olmi devant l’horreur, cette terre qui lorsque la neige aura fondu, retrouvera ses prés aussi verts qu’avant, avec quelques taches encore plus vertes, celles d’une herbe nourrie du sang et des restes des soldats oubliés.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°369-370, décembre 2015

* Cet texte figure dans l’article général "Ermanno Olmi II. Les voies de la fiction", par Bernard Nave.

** Le DVD italien contient un excellent bonus sur le tournage du film, lequel n’a toujours pas (encore) trouvé de distributeur en France, alors qu’il s’agit d’une œuvre majeure de Ermanno Olmi.

1. "La guerre est une vilaine bête qui fait le tour du monde et ne s’arrête jamais".

2. Mario Rigoni Stern (1921-2008). La plupart de ses ouvrages, romans ou souvenirs, se passent durant les deux guerres mondiales, surtout la Seconde Guerre mondiale, et notamment sa captivité par les Allemands. Ils ont été traduits en français aux éditions La Fosse aux ours, créée en 1997 à Lyon.


Tornerranno i prati (Les prés reviendront). Réal, sc : Ermanno Olmi, inspiré du récit La paura de Federico De Roberto ; ph : Fabio Olmi ; mu : Paolo Fresu. Int : Claudio Santamaria, Alessandro Sperduti, Francesco Formichetti, Andrea Di Maria (Italie, 2014, 80 mn).



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