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Watkins, Peter (livre)
Media Crisis (2015)
publié le lundi 13 février 2017

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°375-376, automne 2016

Peter Watkins, Media Crisis, éd. L’échappée, 2015


 


De Peter Watkins, on connaît les films, La Bataille de Culloden (1963), La Bombe (1966), Punisment Park (1971) et surtout le plus célèbre d’entre eux Edvard Munch, la danse de la vie (1973) (1). Mais moins bien La Commune (1999) et Le Voyage (1983-1986 ) (2) qui ont souffert un peu plus, par rapport aux précédents, des affres des nouvelles formes de censures : politiques certes, mais le plus souvent économiques. Produire, on peut toujours, en réduisant les coûts et en faisant appel à des souscripteurs, mais la difficulté commence à la distribution et à la diffusion.

Dans Media Crisis, (3) Peter Watkins raconte ses déboires avec la production télévisuelle, quel que soit le pays où il travaille. De nationalité anglaise, il fuit après avoir été licencié de la BBC et part se réfugier en Suède, puis au Danemark, en Norvège, en Lituanie, et enfin s’installe en France. Ce qui ne l’empêche pas de collaborer, avec des institutions de bien d’autres pays, donnant ici et là des cours dans plusieurs universités, comme celles d’Australie par exemple.
Il part en guerre contre l’irresponsabilité de ce qu’il appelle la "MMAV" (Mass Media audiovisuels) et "l’Horloge universelle", "cette camisole temporelle qui formate l’ensemble des programmes télévisuels dans le monde".

Avec de nombreux exemples, puisés principalement, mais pas systématiquement, dans son expérience de travail, il démontre, preuves à l’appui, "les différents processus manipulateurs et autoritaires mis en place par les chaînes de télévision du secteur public pour structurer aussi bien les films de fiction et documentaires que les journaux télévisés".

La "monoforme", comme il l’appelle, conditionne tous les sujets dans un emballage standardisé, composé de blocs temporels homogènes de même durée. Ainsi toutes les histoires se rapprochent le plus près possible du "modèle narratif unique et uniforme imposé par Hollywood et les MMAV". Le pitching et son dérivé le storytelling des entreprises auraient-ils envahi l’ensemble de la culture cinématographique ? Les réalisateurs devraient-ils se plier à des compétitions semblables aux jeux télévisés, aux cours desquels le gagnant n’est pas le meilleur, mais le plus rapide ?

Edouard Coutinho, le réalisateur brésilien qui avait travaillé dans les années soixante-dix à TV Globo, disait que la direction des programmes lui imposait une durée d’images à ne pas dépasser de quarante secondes. Depuis la durée moyenne n’excède pas sept secondes. Pour certaines chaînes même, elle dépasse rarement les quatre secondes. Toujours plus court, plus rapide, mettant à rude épreuve la résistance rétinienne. Ne parlons pas des clips, assortiment disparate de centaines de morceaux de réalités, puzzle cauchemardesque, images fragmentées en perpétuel mouvement, agression des oreilles par une musique synthétique qui s’apparente de moins en moins à une œuvre.

Conditionné pour accepter le politiquement correct, le spectateur doit se conformer aux attentes du monde audiovisuel prôné en haut lieu par la vision des producteurs et animateurs qui officient au sein des commissions de programme. On ne sait plus aujourd’hui discerner entre le réel et la fiction. Déjà les mots ont perdu leur sens. Ne parle-t-on pas de "téléréalité" pour définir des émissions qui sont totalement falsifiées ?

On pourrait croire que c’est l’apanage des télévisions. Or le cinéma documentaire ou fictionnel n’est pas exempt de cette dérive. Rares sont aujourd’hui les réalisateurs qui peuvent choisir leurs interprètes, leur montage, leur musique d’accompagnement. Où est le temps où l’artiste était en mesure d’obtenir un droit de regard sur l’affiche ?

Media crisis, le plus souvent autobiographique, est le livre d’un homme de combat. Il est le reflet de la société actuelle.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°375-376, automne 2016

1. "Edvard Munch, la danse de la vie", Jeune Cinéma n°100, février 1977.

2. Produit par le Mouvement de la Paix suédois. Tous ces films sont édités en DVD par Doriane films.

3. Le texte figure sur le site de Peter Watkins.


Peter Watkins, Media crisis, traduction de Patrick Watkins, éd. Homnisphères, coll. "Savoirs autonomes", Paris, 2004, 247 p. Réédition en 2007. Réédition, Paris, éd. L’échappée, 2015, 240 p., 15 €



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