Ces deux livres, sortis en même temps, se complètent. L’auteur, Frédéric Sojcher, professeur en cinéma à la Sorbonne, réalisateur de nombreux courts métrages et de longs métrages entre fiction et documentaire, qui ont marqué les esprits, comme HH, Hitler à Hollywood (2010), mais aussi écrivain et théoricien du cinéma. D’origine belge mais installé à Paris, il connaît bien le monde du cinéma, tant belge que français. Dans ces deux livres, il n’est question que d’amour du cinéma et du désir fou de filmer malgré vents et marées.

Commençons par le premier, Main basse sur le film, puisqu’il s’agit d’une réédition actualisée d’un livre paru en 2002. (1)
Le titre évoque bien sûr Francesco Rosi et la photo de couverture, représentant Jean-Jacques Rousseau, cinéaste belge reconnu des deux côtés de la frontière pour son cinéma décalé, que Frédéric Sojcher nous avait fait découvrir dans son film Cinéastes à tout prix (2004). Pourtant, l’ambiance n’est pas à la comédie. Déjà, le thème du film Regarde-moi est une tragédie tissée autour d’une vengeance. Tout au long de ce livre écrit comme dans un souffle à peine retenu, l’auteur raconte l’expérience traumatisante et cruelle de la réalisation de ce premier film sous le soleil méditerranéen de Simy, île du Dodécanèse rendue célèbre par Thucydide il y a 2500 ans.
Ce qui aurait dû être l’aboutissement d’un scénario permettant le démarrage d’une carrière devient au fil des jours une véritable géhenne qui laisse le lecteur sans voix. Tiré d’une histoire vraie comme disent les cartons des films actuels, ce livre fait prendre conscience de l’univers impitoyable du monde du cinéma, de la méchanceté des êtres humains, de la rivalité et de la jalousie. Il faut découvrir ce livre qui se lit comme un roman, avec des moments qui évoquent le Huit et demi de Federico Fellini, mais aussi parfois Le Procès de Orson Welles. Frédéric Sojcher l’a écrit au moment où il devenait enseignant à l’Université, et il donne ainsi à ses étudiants des armes dans cet univers souvent impitoyable.

Le deuxième ouvrage, Je veux faire du cinéma, peut être considéré comme un bilan de plus de vingt ans de carrière dans la réalisation. La quatrième de couverture du livre parle d’autopsie du cinéma. Nous ne reprendrons pas ce terme, qui pourrait vouloir dire que le cinéma est un cadavre qu’on dissèque. Il n’en est rien. Il est encore bien vivant, le bougre, et il a du ressort. Mais les méthodes, les magouilles et les trahisons risqueraient bien à la longue de le tuer vraiment. Ne pratiquant pas la langue de bois, l’auteur se penche sur le monde des décideurs et c’est ainsi que les deux ouvrages se complètent.
L’un parle d’un film en train de se (dé)faire, l’autre analyse le monde du cinéma englué dans un système perverti par les combines, les amitiés et les jugements péremptoires. De plus, on ne peut pas l’accuser de médisance ou de calomnie sous couvert d’anonymat puisque les protagonistes y sont désignés par leurs noms, les meilleurs comme les pires.

On retiendra par-dessus tout le nom de la cheffe toute puissante du cinéma belge dans ses œuvres, tel un pantocrator autoproclamé. Un livre utile surtout si l’on se destine aux différents métiers du cinéma, et très édifiant puisque le cinéma est le seul art qui nécessite énormément d’argent et de temps, deux éléments qui, associés, ne peuvent qu’engendrer intrigues et complications.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 408-409, été 2021

1. Frédéric Sojcher, Main basse sur le film, Paris, Séguier, 2002, Jeune Cinéma n°280, février 2003.

Frédéric Sojcher, Main basse sur le film, préface de Bertrand Tavernier, Bruxelles, Genèse édition 2021, 240 p., 14€.

Frédéric Sojcher, Je veux faire du cinéma. Petit manuel de survie dans le Septième Art, préface de Antoine de Baecque, Bruxelles, Genèse édition 2021, 180 p., 14 €.