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Rocha, Glauber (livre)
Révision critique du cinéma brésilien (2021)
publié le dimanche 6 mars 2022

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

Glauber Rocha, Révision critique du cinéma brésilien, L’Harmattan, 2021.


 


Auteur de Barravento (1961) et bientôt d’un film qui le fera connaître en Europe, Le Dieu noir et le diable blond (1964), le jeune Glauber Rocha (1) publie en 1963, Révision critique du cinéma brésilien, qui serait demeuré ignoré du lectorat français sans la vigilance actuelle de la traductrice Sylvie Debs.

Cette dernière a choisi l’une des dernières versions publiées au Brésil, celle de l’exégète Ismail Xavier, qui donne ici une très pertinente préface de près de trente pages. Dans ce pamphlet, qui réunit un grand nombre d’articles déjà publiés dans la presse brésilienne, il a ajouté d’innombrables extraits d’interventions écrites par ses confrères. D’où quelques répétitions.
Dans ce milieu du 20e siècle, le panel des cinéastes référents au Brésil se résumait à quelques noms, toujours les mêmes, Jean Vigo, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, pour les Français, S.M. Eisenstein, Vsevolod Poudovkine pour les Soviétiques, Luchino Visconti, Roberto Rossellini pour les Italiens. Il est vrai que nous étions dans les débuts de la cinémathèque de São Paulo et que celle de Rio de Janeiro, adossée au Musée (privé) d’art moderne balbutiait. La direction de ce musée, qui appartenait au prestigieux Jornal do Brasil, ignorait tout de la finalité d’une cinémathèque, lorsque le jeune conservateur Cosme Alves Netto en prit la direction !

En effet, le journaliste, critique, producteur et réalisateur fait tout ce qu’il faut pour nous convaincre du bien-fondé de ses théories : "Une défense et illustration du cinéma brésilien". Il cherche à enchâsser ce nouveau cinéma dans l’histoire du cinéma national et mondial. C’était une époque agitée, et de la fermentation surgissaient de nouvelles idées, les promesses de changer le monde. Après avoir rendu hommage à Humberto Mauro, précurseur indiscutable, l’essayiste fustige Alberto Cavalcanti, à la tête des studios de la Vera Cruz, et de toutes les tentatives qui se rapprochent de l’industrialisation, comme celle des chanchadas (2). Hommage est également rendu au réalisme de Alex Viany et au premier auteur digne de ce nom, Nelson Pereira dos Santos, ainsi qu’au Mozambicain Ruy Guerra, qui débuta en même temps que Glauber Rocha.

Dans tous ses textes, ce dernier part à la recherche d’une définition claire de l’étiquette "cinéma novo". À savoir, ce qu’il est en 1963, puis en développement, et surtout ce qu’il doit être. Il se trouve dans l’obligation de répondre, à la phrase de Léon Hirszman : "Le film brésilien se prépare à devenir le miroir de l’âme nationale". Et il ajoute : "Dans la mesure où le cinéma sera la vérité, le pays aura sa propre expression dans sa propre connaissance". La grande revendication de cette époque est de construire un cinéma indépendant, éloigné des producteurs véreux, de la distribution aux mains des Américains, et de la censure qui allait sévir en 1964, dès l’arrivée au pouvoir des militaires. Ce dont a peur le critique, c’est de voir reproduites la forêt amazonienne et la caatinga (3) du Nordeste dans les studios de la Fox ou de Cinecitta.

Le sertão, immense territoire du Nordeste, "quadrilatère de la faim" où la misère côtoie les riches propriétaires terriens, où la fiction rejoint le réel, est cet espace où Glauber Rocha a glané son inspiration, notamment en adaptant la littérature populaire des cordels.
Cette Révision critique du cinéma brésilien est d’abord pour nous un livre de souvenirs, car c’est à la même époque que nous avons découvert le cinéma novo, grâce aux festivals européens, et à la détermination de Claude Antoine, qui s’acharna, en France, à distribuer et à montrer les premiers films d’un pays en train d’entrer dans la modernité. Période durant laquelle émerge une nouvelle capitale, Brasilia, construite par Lucio Costa et Oscar Niemeyer.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

1. Glauber Rocha 1939-1981) est mort à 42 ans, à Rio de Janeiro.

2. Film de comédie musicale populaire.

3. Région désertique.


Glauber Rocha, Révision critique du cinéma brésilien, traduction de Sylvie Debs, préface de Paulo Antonio Paranaguá, Paris, L’Harmattan, 2021, 230 p., 23, 50 €



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