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Vigo, Luce (livre)
Conversations (2019)
publié le samedi 27 août 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°395, été 2019

Luce Vigo, Conversations, Crisnée, Yellow Now, 2019


 


Luce, les anciens lecteurs de Jeune Cinéma s’en souviennent, même si elle avait commencé par signer Luce Sand (nom de son premier mari), sans doute par souci de ne pas passer pour une "fille de". Collaboratrice de la revue dès l’aube - Jeune Cinéma n°5, février 1965), elle y écrivit régulièrement jusqu’en septembre 1981 - Jeune Cinéma n°137 - en tout quatre-vingt-cinq participations, dont plus d’un tiers d’entretiens (trente).

L’art de l’entretien n’est pas aisé, il suppose une parfaite connaissance de l’œuvre du cinéaste interrogé (sans en faire trop), afin de donner à la rencontre son intérêt maximal et savoir mettre en confiance l’interlocuteur. Un art de la conversation intelligente que Luce Vigo savait pratiquer avec bonheur - et Émile Breton a eu raison d’intituler ainsi le recueil.

Un recueil qui n’est pas uniquement composé à partir de la collection de la revue, car, après Jeune Cinéma, elle écrivit dans Révolution, Regards et Les Lettres françaises, tous périodiques estimables et qui ne cachaient pas leur drapeau. Quel que soit le support, elle y fit preuve de la même précision dans la traque des aspects les moins apparents de l’œuvre du réalisateur - les deux entretiens avec Alain Cuny (LLF, janvier et décembre 1991) sont remarquables à cet égard.

Mais toutes les autres conversations reproduites le sont, à des degrés divers, que le cinéaste soit peu disert comme Jacques Rivette, ou débordant comme Jacques Rozier. Les deux échanges avec Alain Resnais, à douze ans d’écart, en 1968, après Je t’aime, je t’aime, et en 1980, après Mon oncle d’Amérique, sont passionnants.

Le seul reproche que l’on puisse adresser à l’éditeur, c’est d’avoir limité l’ouvrage au format inférieur de la collection - Le Cinéma au défi des arts de François Albera, publié conjointement en format large, contient bien plus de textes -, en ne proposant qu’une vingtaine de conversations, et, pour des raisons compréhensibles, beaucoup de têtes de série - ajoutons aux noms déjà cités, François Truffaut, Georges Rouquier, Alain Cavalier, Philippe Garrel, Arnaud Desplechin, Claude Chabrol, Manuel de Oliveira et peu de cinéastes moins connus, Claire Simon et la trop oubliée Christine Laurent.
On aurait aimé retrouver dans ces pages les deux entretiens avec Joris Ivens (Jeune Cinéma n°30, avril 1968) et surtout avec Pierre Prévert (Jeune Cinéma n° 29, mars 1968), un des rares témoignages de celui-ci durant cette période (1). Faute d’avoir conservé sur nos rayons Révolution et Les Lettres françaises, on ne se souvient plus à qui elle avait tendu son micro. Mais dans ses entretiens parus dans Jeune Cinéma, Luce Vigo ne s’était pas contentée du haut de gamme, elle avait croisé bien des réalisateurs, français ou étrangers, auxquels les autres revues ne s’intéressaient guère.
Ainsi, qui se souvient de Serge Roullet, de Bernard Paul, de Melvin Van Peebles, de Gérard Vergez, de Édouard Luntz, de Frank Cassenti, de Robert Lapoujade, tous enregistrés entre 1965 et 1970 ?
Et, parmi les étrangers, de Michael Raeburn, Zsolt Kezdi-Kovacs, Herbert Biberman, Ferenc Rosza ou Marcel Lozinski ? Il y aurait de quoi composer une anthologie précieuse des "petits" cinéastes en voie d’oubli, qu’elle savait traiter avec le même souci et la même curiosité que les "grands". En attendant, c’est un plaisir de choix de redécouvrir ces paroles anciennes : celles des réalisateurs, certes, mais aussi celles d’une passionnée toujours en éveil.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°395, été 2019

1. "Entretien avec Pierre Prévert", à propos de L’affaire est dans le sac (1932) et de Voyages surprise (1947), Jeune Cinéma n°29, mars 1968.


Luce Vigo, Conversations, textes réunis par Émile Breton, coll. Côté cinéma / Morceaux choisis, Crisnée, Yellow Now, 192 p.



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