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Couple témoin (le) (1976)
de William Klein
publié le samedi 8 octobre 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°100, février 1977

Sortie le mercredi 30 mars 1977


 


Il nous faut aujourd’hui fêter le retour de William Klein dans le champ du cinéma de fiction. Depuis Mister Freedom, depuis 1968 donc, les seuls films de lui que nous avions pu voir - Eldridge Cleaver (1970), Festival panafricain (1970), Muhammad Ali, the Greatest (1969). - étaient des documentaires. Le Couple témoin, cette fois, est une fable, une fable qui aide à dévoiler le présent et l’avenir de la société où nous vivons.


 

Le ministre de l’Avenir vient de lancer l’expérience du "Couple-témoin" : ce sera une grande attraction publique sur laquelle la télévision tiendra en haleine "la France entière qui vous regarde". Jean-Michel et Claudine ont été choisis comme couple-témoin parce qu’ils sont "à 76 % moyens" : pas d’opinion politique - "ni à droite, ni à gauche, mais nous nous tenons informés" -, pas d’ambitions exceptionnelles, pas de curiosité intellectuelle particulière. Grands consommateurs de gadgets, ils se contenteront de livres, des œuvres complètes de Balzac et Zola qu’on leur fournira pour le décor.


 

Maintenant des plaques et des fils enregistrent toutes leurs réactions, ils sont en permanence testés, manipulés par deux experts, un technicien et une technicienne - Zouc compose une étonnante figure de monstre froid et replet, terrifiant de placidité dans l’expérimentation. Les réactions sont immédiatement transmises à la télé par un speaker grand baratineur. Ainsi les services intéressés sauront et le public saura, d’heure en heure, comment ils s’installent dans l’appartement qu’on leur a fourni, comment ils font dans une grande surface les achats de la semaine avec quatre cents francs et en trente minutes, comment ils se font des scènes de ménage, comment ils font l’amour.


 

Si, épisodiquement ils se révoltent, cette révolte même est récupérée par les techniciens en un test d’agressivité. Mais, en général, ils se soumettent facilement. D’abord la situation leur procure beaucoup d’avantages : la salle de bain est une vraie vitrine d’articles d’hygiène et la cuisine de Claudine un champ clos pour les démonstrations de gadgets ménagers. Et puis ils veulent admettre que cette expérience se fait "pour la science".


 

Cette science pourtant est loin d’être désintéressée : les tests sur le couple-témoin permettent de constater que le module du bonheur psychosocial est inférieur à ce qu’on pensait, et donc de prévoir des économies sur la hauteur des étages ou la grandeur des éviers. L’expérience va trouver son apothéose dans la visite du ministre de l’Avenir venu dîner chez le couple-témoin sous les regards des téléspectateurs. Elle va aussi être interrompue par une intervention de gamins déguisés en terroristes, occupant l’appartement laboratoire, présentant leur opération comme un nouveau test à Jean-Michel et Claudine que plus rien n’étonne, et permettant en fait au ministère, qui récupère cela aussi, de suspendre une expérience dont il ne sait plus que faire.


 

Tout au long du film, à travers la fable, ce sont les ressorts de notre société qui se trouvent démontés : comment les instruments techniques dont dispose le pouvoir risquent de convertir en purs robots des citoyens déjà trop moyens au départ ; comment les mass media s’emparent de la vie privée pour en faire un article de publicité ; comment le système exploite une pseudo science au service des intérêts économiques ; comment le même système utilise l’ambiance de la société de consommation pour anesthésier dans des satisfactions faciles l’homme-cobaye définitivement privé de toute possibilité de réaction face au pouvoir qui le manipule. C’est donc un film politique qui nous est offert ici, dans cet esprit de Mai 68 qui semble avoir si fortement marqué William Klein (1), et pour qui la politique n’est pas domaine réservé, mais au contraire est imprégnée par toute la vie et imprègne toute la vie. Fidèle à cet esprit, cette horreur de la technocratie, cette mise en garde contre la manipulation. Et aussi cette allègre combativité avec laquelle l’imagination au pouvoir brandit une joyeuse démonstration par l’absurde.


 

Le ton est quelquefois, mais assez exceptionnellement, celui de la farce. Ainsi, dans la visite du ministre, le pérorage officiel, la gravité de pape futurologue de Eddie Constantine, le Chant du départ entonné au dessert semblent destinés à faire exploser un grand rire. Mais plus souvent le rire reste coincé. Le trait est celui de la caricature - le même qu’on trouvait dans Mister Freedom et aussi, par instant, dans l’œuvre documentaire de William Klein. L’attitude est celle d’un homme qui choisit son camp et qui se bat. C’est bien à tort que des âmes sensibles lui ont parfois reproché d’introduire dans l’image même ses partis-pris : le cinéma d’aujourd’hui, féru "d’ouverture" a bien besoin de cette vigueur des choix, de ce refus des traquenards de "l’objectivité".

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°100, février 1977

* Cf. "Entretien avec William Klein", Jeune Cinéma n°100, février 1977).


Le Couple témoin. Réal, sc : William Klein ; ph : W.K. & Philippe Rousselot ; mont : Valérie Mayoux ; mu : Michel Colombier ; cost : Agnès B. & Georges Bril. Int : André Dussollier, Anémone, Zouc, Eddie Constantine, Georges Descrières, André Penvern, Jacques Boudet, Frédéric Pottecher (France-Suisse, 1976, 101 mn).



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