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Jonas et Lila, à demain (1999)
de Alain Tanner
publié le mercredi 12 octobre 2022

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°260, février 2000

Sortie le mercredi 5 janvier 2000


 


Le dernier film de Alain Tanner, Jonas et Lila, est un écho lointain du beau Jonas, qui aura vingt ans en l’an 2000 (1).
Situé entre Marseille, terre d’exil pour un cinéaste vieilli et replié sur l’écriture, et la campagne de l’Ain où se réfugie parfois un jeune issu d’une école de cinéma en mal de sujet, le film confronte les idéaux d’alors et le vide actuel. Seul élément tonique dans l’univers de la fiction, cette Lila sénégalaise, Suissesse adoptée, belle, intelligente et dure, et qui porte en tant que salariée et noire, les révoltes du présent.


 

C’est un film désolé et désolant. Désolé dans la figure flottante et floue du jeune Jonas, armé de son seul outil, comme il se doit miniaturisé, léger, "pouvant absolument tout faire", mais démuni de projets, d’inspiration, de passion : une aboulie et une irresponsabilité qu’il camoufle dans ses reproches à la génération précédente. Ses performances de cinéaste sont de pâles imitations du feu cinéma-vérité : quelques plans sur Lila, filmée à fleur de peau, quelques envols colorés sur des papiers échappés des bennes à ordures, et un marché à Dakar.


 

Il passerait encore, ce "réel" porteur d’un mini-message sur les gavés et les encore affamés du présent, mais comment supporter la bêtise à tête de taureau de jeunes connards. On veut désigner par là, ces "ciné tract" postmodernes avec quelques verres cassés, un passe-montagne pour camouflage, toutes choses qui confondent révolte et muflerie, blague de potache et fer de lance de la révolution. Le désolant tient à la manière dont est saisi ce"désolé". D’une part, le rythme du film est alangui, s’attardant ou s’effilochant ; seules les séquences nettes et incisives des étreintes amoureuses de Jonas et Lila arrivent, mais au prix de quelles répétitions, à donner une scansion au film. D’autre part, Alain Tanner a pris le parti de laisser absent son propre regard sur ses personnages.


 


 

Il suscite, avec l’excellence de ses acteurs, quelques promesses immédiatement déçues. Marisa Paredes, issue du monde saturé de Pedro Almodovar, n’a rien à dire ni à faire, dotée in extremis du statut de veuve d’un suicidé. Un personnage en quête de rôle comme l’est Heinz Bennent, lui aussi excellent. Comme elle, il a un visage marqué, intense et porteur de souvenirs heureux. Son apparition dès le départ est promesse, mais las, rien ne vient après. Il profère de sa belle voix appuyée, quelques aphorismes énigmatiques comme son"comme-ci-comme ça", savants, comme celui de Fernando Pessoa. Mais malheureusement ce constat sur le crétinisme prétentieux des contemporains reste banal.


 

Cet appel aux citations qui est l’arme secrète de Lila, jointe aux hésitations de Jonas et aux jeux débiles des jeunes camarades, tout cela fait se profiler en ombre"chinois" les joyeusetés les plus pénibles de Jean-Luc Godard. Procurent la même frustration les allusions aux personnages, aux situations, aux combats décrits dans les chefs-d’œuvre : les filles au travail qui plaquent tout, la nostalgie des grands départs, l’irruption revigorante des femmes du tiers monde et la vieillesse irréconciliée.


 

Deux époques, deux styles de films, deux performances de cinéaste. Ce qui flotte encore au souvenir après la projection, c’est peut-être une seule phrase -"une caméra qui peut tout faire, c’est dangereux, c’est comme la liberté". On dirait le texte d’une vignette satirique qui dessinerait Heinz Bennent donnant à Jonas une camera miniaturisée, un bijou.


 

Un film métaphore sans nul doute, sur la dégénérescence, un film en kit, dont les éléments d’assemblage seraient à pêcher dans les décombres de quelque décharge géante. Beaucoup à faire pour le spectateur, et finalement un film stimulant.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°260, février 2000

1. "Jonas, qui aura vingt ans en l’an 2000" (1976), Jeune Cinéma n°99, décembre 1976


Jonas et Lila, à demain. Réal : Alain Tanner ; sc : A. T. & Bernard Comment ; ph : Denis Jutzler ; mont : Monica Goux ; mu : Michel Wintsch. Int : Jérôme Robart, Aïssa Maïga, Natalia Dontcheva, Marisa Paredes, Heinz Bennent, Cécile Tanner (France-Suisse, 1999, 124 mn).



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