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Femme en bleu (la) (1973)
de Michel Deville
publié le mardi 21 février 2023

par René Prédal
Jeune Cinéma n°69, mars 1973

Sortie le mercredi 3 janvier 1973


 


Composés à partir d’images subjectives d’un univers à nul autre pareil, les films de Michel Deville ont tous une structure musicale, et si Schubert tient une grande place dans l’intrigue de La Femme en bleu, le film tout entier possède, avec ses reprises de thèmes, ses retours cycliques d’images et son improvisation à partir de quelques points d’orgue donnés dès l’ouverture, la même vivacité de surface mais en réalité aussi la même gravité que les œuvres du grand musicien.


 


 

Comme Le Cœur Battant (1960) ou La Maison des bories (1970) de Jacques Doniol Valcroze, les films de Michel Deville savent en effet cacher les blessures les plus profondes sous des dehors courtois de la comédie raffinée à la Blake Edwards - par exemple Breakfast à Tiffany (1961) -, et même à la Ernst Lubitsch. Car l’élégance du style tient un peu chez lui le rôle d’une vitre protectrice au-delà de laquelle se noue le drame d’un homme qui cesse un jour de jouer, qui essaye enfin d’être lui-même et découvre alors avec effroi le vertige suicidaire qui se loge tout au long de sa propre conscience.


 


 

Film sur une faille douloureuse, sur une aspiration soudaine à un ailleurs indéfinissable, La Femme en bleu est fait de gestes inaboutis, de regards dérobés, de reculades soudaines et de paroles qui viennent mourir sur les lèvres avant d’avoir été clairement perçues. Ce désarroi de l’homme au sortir de la quarantaine fait éclater le temps et l’espace d’un récit où se mêlent et s’entrecroisent un réel toujours prêt à basculer dans le rêve et un imaginaire qui se nourrit sans cesse du quotidien.


 


 

Dès le générique, un Pietro tout de blanc vêtu croise inlassablement dans une toute petite pièce une incroyable femme en rouge qui se révélera à la fin n’être qu’un personnage de rêve, alors que la mystérieuse inconnue en bleu, aperçue à peine quelques secondes, mais qui fait basculer sans rémission l’univers mental du héros, est certainement une femme réelle, quoique sans intérêt.


 


 

D’ailleurs, les deux créatures ont justement le même visage, celui de Léa Massari, bien vivante Aurélia, qui essaye sans succès de tirer son compagnon du rêve qui le dévore : pressé de réintégrer le réel, l’homme s’abîmera dans la mort, une pure nature s’éveillant au soleil n’ayant pas réussi - comme c’était le cas dans L’Ours et la poupée (1970), - à réunir définitivement les deux amants.


 


 

On voit sur quel fragile équilibre Michel Deville a construit son film avant de le briser au contact des réalités trop solides de la vie, ces réalités que Pietro ne voulait pas voir (une vieille femme remuant des poubelles ou des jeunes gens amenés brutalement par les flics au milieu de l’indifférence générale), et sur lesquelles Aurélia avait tenté tragiquement de lui ouvrir les yeux.

René Prédal
Jeune Cinéma n°69, mars 1973


La Femme en bleu. Réal : Michel Deville ; sc : Leo L. Fuchs ; ph : Claude Lecomte ; mont : Raymonde Guyot ; mu : André Girard. Int : Michel Piccoli, Lea Massari, Michel Aumont, Simone Simon, Geneviève Fontanel, Sabine Glaser, Patricia Lesieur, Henry Courseaux, Julien Verdier, Claude Bolling, Hélène Duc, Robert Favart, Pierre Mirat, Max Vialle, Régis Wargnier (France, 1973, 95 mn).



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