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Berlin 2007 I
Compétition officielle et autres sections
publié le dimanche 22 février 2015

Berlin, 8-18 février 2007, 57e édition
Compétition officielle

par Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°308-309, printemps 2007

La 57e édition de la Berlinale me rappelle ce que disait Claude Lanzmann il y a quelques années à la Mostra, en protestant que son film ne soit pas en compétition : "De toutes façons, ici, ce n’est qu’une exposition !" (ce que "Mostra" veut dire).

Le festival était une gigantesque exposition de films avec des pépites de cinéma. Un festival qui cristallisait tous les paradoxes et problèmes auxquels les grands festivals sont confrontés : il faut des stars, donc on fait venir des films où il y a une star (Sharon Stone ou Jennifer Lopez), mais sans elles, les films n’auraient sans doute jamais été choisis.

Alors que le Festival organisait, cette année, une rétrospective délicieuse, "City Girls", dédiée aux femmes émancipées qui entrent en conflit avec les modèles de société d’alors (dont City Girl de Murnau serait l’exemple emblématique), on aura rarement vu, surtout en compétition, autant de personnages de femmes racistes, caricatures de la petite-bourgeoisie, d’actrices victimes de la chirurgie esthétique arborer leurs lèvres devenues inaptes à articuler quoi que ce soit (Angelina Jolie, dans The Good Shepherd, ou Emmanuelle Béart dans Les Témoins, qui a bien du mal à faire passer ce qu’elle doit dire).
Le sommet de personnage de femmes-jeunes filles totalement décourageantes se trouve dans le film de Jiri Menzel, J’ai servi le roi d’Angleterre, caricature d’une Allemande nazie, rôle que Menzel a eu le cynisme de confier à Julia Jentsch, celle qui incarnait Sophie Scholl (1).
Cate Blanchett qui prête sa beauté froide au Good German de Steven Soderbergh, pastiche réussi des films de ruines, obtient un rôle à la mesure de son talent dans Notes of a Scandal (Chronique d’un scandale) de Richard Eyre où son personnage est, hélas, littéralement écrasé par une Judi Dench impitoyable et cruelle jusqu’à la caricature.

Pour voir donc des femmes dignes de ce nom, il fallait se tourner vers Irina Palms de Sam Garbarski (Prix du Public, mais, esthétiquement, un télé-film) et admirer Marianne Faithful en grand-mère courage qui branle les hommes pour gagner les 6 000 livres qui sauveront son petit-fils, dans Irina Palm de Sam Garbarski.

Parler du Rivette Ne touchez pas la hache, c’est évoquer une sorte d’ovni dans cette constellation. Son portrait de la duchesse de Langeais, avec une magistrale Jeanne Balibar, et Guillaume Depardieu ne lui a pas rapporté de prix, mais va nous enchanter.

De la duchesse à Yella de Christian Petzold, il y a un monde. Mais aussi une parenté profonde, celle de la création, celle de personnes hors du commun tout en étant nos contemporaines.

Tout comme Tuya’s Marriage de Wang Quan’an (Ours d’Or), I am a Cyborg de Park Chan-wook (Ours de la meilleure contribution artistique et technique) ou Lost in Beijing de Li Yu sont des films de cinéma convaincants avec des personnes humaines complexes, mis en scène cinématographiquement.

Ceci dit, les hommes n’étaient pas mieux servis.

Que ce soit l’agent impassible du Good Shepherd que campe Matt Damon, aussi érotique qu’un trombone, ou De Niro en grand patron de la CIA (l’ironie de son personnage est le meilleur du film) dont le corps se désagrège petit à petit - on lui coupe le pied, puis la jambe etc., dans The Good Shepperd.

Georges Clooney dans The Good German joue un loser obsédé, qui, comme le personnage de Chinatown arrive toujours trop tard.
Seul l’Argentin Ariel Rotter avec El otro (Prix du Jury et prix d’interprétation à l’excellent Julio Chavez) montre avec une sorte d’amour désespéré l’homme déboussolé d’aujourd’hui.

Sinon en "film d’hommes", il y avait Beaufort de Joseph Cedar (des jeunes recrues défendent un fort pendant la première guerre du Liban) avec une tendance fâcheuse au film de propagande.
Aux antipodes du magnifique Clint Eastwood, Letters from Iwo Jima, deuxième volet de Flags of our Fathers, où nous pouvons constater avec un certain désabusement, que seules les mères font lien entre tous ces échantillons d’êtres éprouvés et déchus éparpillés de par le monde avec une juste répartition géopolitique des conflits actuels. Ainsi les mères américaines écrivent les mêmes lettres que les mères japonaises.

H.H.


À la mémoire de moi-même (In memoria di me) de Saverio Costanzo (2007)

Le film de Saverio Costanzo relate l’étrange expérience d’un jeune homme en pleine crise de conscience qui rentre dans un couvent de Jésuites, histoire de s’isoler pour réfléchir sur ses perspectives de vie.
Il suit le règlement le jour, est attiré par l’attention de son maître spirituel tout en étant surtout intéressé par les évolutions nocturnes de quelques compagnons malheureux. Un film d’une grande beauté formelle, qui joue sur les clairs-obscurs, les plongée dans la nuit, les sons de pas invisibles, l’étrangeté des escaliers allant vers l’inconnu, les zones d’ombre sous les arcades. Dans le grand jour éclatent parfois de scènes comiques, quand les collègues de retraite s’espionnent et se dénoncent aux bons pères pour se mettre en valeur. La fin fait entrevoir la vie des autres sur la lagune, la nuit de la fête du Rédempteur, quand le peuple s’amuse avec les beaux feux d’artifice. Au petit matin, Andrea a quitté le couvent : une belle séquence muette où la silhouette du novice libéré se détache en noir sur la belle façade blanche de l’église des Jésuites. (Italie)

L’Année où mes parents partirent en vacances (O ano em que meus pais sairam de ferias) de Cao Hamburger (2006)

"C’est un film sur l’absence, la solitude et la manière de survivre" explique le cinéaste. Il montre l’expérience d’un garçon de 12 ans, fan de football, dont les parents entrent en clandestinité (nous sommes dans le Brésil sanglant des années 70) et le confient à un grand père juif religieux.
Livré à lui-même, curieux, le jeune Mauro explore la vie d’une communauté juive et libérale, et le monde pluriculturel de la rue de Rio. Il survit. Un plaidoyer pour la tolérance, une dénonciation des exactions fascistes, la passion du football et de l’équipe trois fois victorieuse de la Coupe du Monde.
Beaucoup de ces éléments proposent des allégories.
Au premier plan du film le père "qui part en vacances" joue avec son fils à un petit jeu de puces, qui consiste à envoyer, avec l’ongle du pouce, un pion dans un filet miniature. "Attention, dit le père, la vie n’est pas un jeu de foot où on encaisse une erreur, puis la redresse". (Brésil)

Desert Dream (Hyazgar) de Zhang Lu (2007)

D’une improbable coproduction entre la Mongolie, la France et la Corée surgit, tel un miracle, le film de Zhang Lu.
Son troisième long métrage, après Tang Poetry et Grain in the Ear, confirme son talent à montrer, dans une durée parfois épique, la vie dans une yourte, l’obsession du personnage central de replanter la steppe, de sauver cet endroit de la désertification en marche, et de travailler, tel Sisyphe, dans un éternel recommencement.
Dans cette solitude des grands espaces et des vents déchaînés, nous voyons arriver une Coréenne et son garçon : "Imaginez ce que ces gens ont vécu en traversant pratiquement toute la Chine pour arriver là…" dit Zhang Lu.
Son film nous renvoie un souffle d’utopie, prouve les qualités d’accueil et de solidarité qui existent encore parmi les gens de la steppe, au-delà des barrières de langue et de nationalité.
Deux personnes se parlent : "Moi, je te fournis les arbustes à planter, tu me les achètes, que va-t-on devenir si un de nous deux disparaissait ?" Avec beaucoup d’humour et de simplicité, nous comprenons que plus personne ne veut de cette vie-là, faite de déceptions et de dur labeur.
Mais le film n’est pas angélique pour autant. Des trafiquants d’esclaves (d’hommes, d’organes ?) s’amènent pour acheter au héros la Coréenne et son fils. Il ne leur parle même pas, va dans la yourte chercher son fusil et leur barre la route. Le film nous emmène au cœur des conflits que chaque personne ne peut résoudre que pour elle-même.
Les habitants du Kurdistan iranien disaient à Kiarostami que s’il fallait choisir, ils ne renonceraient jamais à leurs rêves. Ainsi, la femme coréenne se met nue sous la lune pour se coucher dans la seule petite étendue d’eau qui existe dans ce coin perdu. Les ressources des humains sont infinies. Il n’y a pas de meilleur message d’espoir. (Corée-France)

Le Mariage de Tuya (Tuya de hun shi) de Wang Quan’ an (2006)

Le film défend les valeurs incontestables, mais peut-être les plus difficiles à faire exister : la solidarité, le respect, le secours porté à l’autre dans n’importe quelles circonstances.
Le Mariage de Tuya est le portrait d’une femme. Il faut la voir, comment elle tente de bloquer toute seule une charrette à foin renversée, comment elle charge un ami saoûl sur son chameau, ou comme elle cherche et trouve son gamin resté avec les brebis dans une tempête de neige. (Recette pour ranimer un homme évanoui : remplir la bouche d’une bonne gorgée d’eau-de-vie, cracher le tout sur la poitrine dénudée du sujet, le frotter vigoureusement !)
Tuya a un mari accidenté en creusant un puits. Mais elle n’en veut pas d’autre, si elle ne peut continuer à prendre soin de lui. Des plans inoubliables confrontent ces univers irréconciliables de la campagne et de la ville, de l’ancien et du nouveau, transmettent l’éternelle envie qu’un peu de bonheur puisse se dégager du lourd labeur de tous les jours.
Sur son chameau-dromadaire, Tuya est une sorte de Reine de la Mongolie, souveraine, indépendante et quand même soumise à la bonne volonté des autres.
Des hommes ? Son entourage ne comprend pas pourquoi elle s’obstine à vouloir trouver un nouveau mari qu’elle épousera seulement s’il assume la charge de son mari accidenté.
Des images restent en mémoire : une vue sur la steppe au clair de lune, un cheval blanc attaché dans la nuit, une chambre d’hôpital, deux hommes qui se soûlent. Ils aiment la même femme, ils pratiquent l’amitié, tout simplement. (Chine)

Moi qui ai servi le roi d’Angleterre (Obsluhoval jsem anglického krale) de Jiri Menzel (2006)

Douze années de préparation, un titre incongru, la fidélité renouvelée à Bohumil Hrabal, l’histoire tchèque des années 30 à l’ère socialiste.
Au départ, un homme, sort de prison, à 50 ans. Il sort sept sous de sa poche et les jette sur la chaussée, où sept millionnaires les ramassent. C’est le thême récurrent du film. Devenir millionnaire a été lle rêve du héros. Revenu dans la foret sudète de son enfance, Jan raconte son ascension.
Petit de taille et de fonction, groom dans un hôtel, formé par son chef et mentor, il apprend les règles du métier : "ne rien entendre, ne rien écouter, tout répéter".
Tout va aller par trois : trois filles dénudées, trois hôtels servis, trois riches imités.
Le gag des filles est le plus cocasse : l’une, couverte de marguerites blanches, l’autre de timbres rares, la troisième de nourritures variées.
À intervalles irréguliers, Menzel revient au présent, dans la maison retapée de la forêt : une pièce vide, cinq miroirs en cercle, cinq images de la vie de Jan.
Le film suit l’évolution du cinéma, les styles changent, les gags se chargent de tristesse : avec 1938 et l’invasion des Sudètes, tout devient grave et les gags inquiétants. Jan adopte la mèche et la moustache d’Hitler, couche avec une soldate musclée dans les foyers "Lebensborn", et sa compagne se voit copuler avec Hitler.
Le film est indescriptible et indécryptable - les billets sur le plancher, la fille perchée dans l’arbre de la forêt, le gag du prince arabe ? - , et, en fin de compte, peut-être le meilleur de Menzel. (République tchèque-Slovaquie)

El otro de Ariel Rotter (2007)

Pour ce film, le cinéaste argentin Ariel Rotter a reçu l’Ours d’argent.
El otro est à la fois simple et émouvant. C’est l’histoire d’un homme, un bourgeois de Buenos-Aires, pourvu d’un bon métier, d’un vieux père dont il s’occupe, et d’une très belle femme qui, enceinte, se repose pendant ses absences.
Au cours d’un trajet assez long vers le sud de la capitale il s’aperçoit soudain que son voisin qu’il croyait endormi est mort. Sans réfléchir, il lui prend ses papiers, histoire de s’offrir une nouvelle identité, le temps d’une courte escapade, deux jours de vacances. Chacun a éprouvé, en moins extrême peut-être, un air de liberté dans l’anonymat solitaire d’une ville étrangère, le temps de festival par exemple.
L’avocat Desouza s’offre deux jours d’effervescence sexuelle, de mensonges, de "vie dangereuse". Deux pas dans les nuages. Et le retour à la case départ. Une belle séquence dans une forêt touffue est emportée dans un tourbillon d’enthousiasme.
Un thème universel, la peur du temps qui passe, de la vieillesse à l’affût, et la résignation finale. (Argentine-France-Allemagne

When a Man Falls in the Forest de Ryan Eslinger (2007)

C’est l’œuvre d’un très jeune auteur, Ryan Eslinguer. Massacré par la critique, le film est le plus envoûtant de la compétition.
Trois épaves et une jeune femme dans une ville anonyme. Karen, sans personnalité, s’ennuie et vole dans les magasins. Gary, le mari, dort dans son bureau. Travis est hanté par un accident qu’il a provoqué dans son passé. Bill, le plus bizarre, une grande perche raide, nettoie les sous-sols. Timide et épris de musique, il se cache derrière de grosses lunettes et a des visions.
Trois amis de jeunesse qui se retrouvent et tentent de retrouver l’énergie du passé. Mais se découvrent incapables de se parler, de s’écouter, d’agir, d’espérer. Quand Gary se voit menacé par un voleur armé, on peut croire qu’il s’agit d’une vision de Bill. Un film d’horreur filmé en douceur.
Et la mort ne fait pas plus de bruit qu’une chute en forêt. (Allemagne, Canada-USA)

Yella de Christian Petzold (2007)

L’actrice fétiche de Christian Petzold, Nina Hoss (Prix d’interprétation féminine) est belle comme le jour.
Cette femme naturellement blonde joue si bien une femme coincée dans les misères économiques de la globalisation qu’elle finit par avoir des cheveux sombres, presque bruns, parce que c’est sa vie qui est ainsi : sombre.
Yella conte une tranche de vie de femme dont le quotidien est devenu insupportable. Pour un nouveau départ, elle quitte mari et ville, un trou perdu en ex-RDA.
Propulsée dans un monde capitaliste sauvage dont elle ignore les règles, elle se défend superbement sur le terrain des autres, des hommes, des entreprises, les bilans, les calculs, la comptabilité et les dépôts de bilan.
Mais quand il s’agit d’elle, elle échoue lamentablement.
C’est petit à petit que nous allons découvrir qu’elle est différente, inadaptée et qu’on lui volera son espoir de vie, sa capacité d’entrer dans les parties de poker les plus compliquées. Son éthique va être mise à rude épreuve. Autant elle veut être solidaire de son mari ruiné, autant elle fera des choses inavouables pour un autre qu’elle connaît à peine.
Car dans sa nouvelle indépendance, somme toute virtuelle, elle continue à penser aux autres, et le moindre de ses mouvements est entravé. Persécutée par les bruits du passé et ses fantômes, elle résiste jusqu’à ce qu’elle devienne elle-même une sorte de fantôme de la liberté. La liberté qu’elle a choisie n’a rien à voir avec celle qu’elle arrive à vivre.
Le réalisateur la regarde par-dessus l’épaule, mais sans la sortir des terrains minés. Espérons que ce film trouvera le chemin de la distribution en France. Seul Contrôle d’identité (Die innere Sicherheit) est sorti, son magnifique Gespenster (Fantômes) est toujours inédit. (Allemagne)

Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°308-309, printemps 2007

1. Sophie Scholl les derniers jours de Marc Rothemund (2006)

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