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Rue rouge (la) (1945)
de Fritz Lang
publié le mercredi 18 septembre 2024

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1946

Sorties les mercredis 29 janvier 1947, 14 mai 2014 et 18 septembre 2024


 


Ce film de Fritz Lang de 1945 est une adaptation hollywoodienne de La Chienne de Jean Renoir (1931). Scarlet Street, la "rue rouge", évoque un quartier de la prostitution situé ici à Greenwich Village - et non à Times Square. Rappelons que la "chienne" était synonyme de ce que l’on qualifiait de "gourgandine" dans les chansons réalistes des années vingt. Le film suit immédiatement son The Woman in the Window (La Femme au portrait), réalisé en 1944, et en partage les trois acteurs principaux, Edward G. Robinson, Joan Bennett et Dan Duryea (spécialisé dans les rôles de vilain), ainsi que le directeur de la photographie, Milton K. Krasner. Autre motif commun : le thème de la peinture (le tableau de la femme dans la vitrine). En effet, la question de l’art et du marché de l’art, nullement prévue par Jean Renoir, s’invite dans cette affaire par ailleurs sordide.


 


 


 

La soirée arrosée est calquée sur l’ouverture de La Chienne. Un patron a réuni ses employés pour fêter les vingt-cinq ans de bons et loyaux services de son caissier, Chris Cross, avant de quitter rapidement la soirée et de s’engouffrer dans une limousine où l’attend une belle blonde qui s’amuse avec son petit singe. Cette scène singulière intrigue et évoque chez le spectateur le film de Josef von Sternberg, The Devil Is a Woman (1935).


 


 


 

Chris part, accompagné d’un collègue, peu soucieux de rentrer chez lui. Il erre sous la pluie et doit jouer le chevalier servant pour protéger une femme agressée. Il fait battre l’individu en retraite. Il veut alerter la maréchaussée, mais la belle, Kitty, lui fait remarquer que la police attire toujours des ennuis. Tous deux se retirent donc dans bar où la jeune femme se commande un cocktail en lieu et place du café proposé par Chris. D’elle, on ne saura rien, sinon qu’elle habite en colocation, ce qui exclut toute visite. Lui est plus disert. Il s’invente une vie rêvée, tait son emploi de caissier, passe sous silence son mariage avec une mégère qui le traite plus bas que terre et se présente comme artiste-peintre fortuné.


 


 

Kitty et son protecteur (l’acolyte qui la brutalisait) pensent avoir découvert la poule aux œufs d’or. En un premier temps, Chris se sert dans la caisse pour financer les toilettes de Kitty. Puis un appartement où il pourrait peindre et conserver ses tableaux. Le souteneur cherche alors à se renseigner sur la cote du peintre en montrant une toile non signée de celui-ci. Et, miracle comme il s’en produit dans des contes, un célèbre critique s’intéresse à cette œuvre, ainsi qu’une galerie renommée. Kitty appose alors sa signature sur les toiles et le tour paraît joué. Il va sans dire que tout ne se passera pas comme prévu.


 


 


 

Il n’est pas sûr que le mélange dans une fiction de sexe, duperie et crime fonctionne aussi bien que dans le documentaire que réalisera près de trente ans plus tard Orson Welles, avec F for Fake (1973). Toujours est-il que les comédiens sont remarquables. Le jeu de Edward G. Robinson (le pigeon) se distingue de celui de Michel Simon par l’expression de sa vulnérabilité et par sa grande finesse. La descente aux enfers digne du Der letzte Mann de Friedrich Wilhelm Murnau (1924) est poignante. La scène d’humiliation, lorsque Kitty lui ordonne de lui vernir les ongles de pied en lui susurrant avec un sourire carnassier : "Ce sera ta plus belle œuvre", eût pu prendre place dans Der blaue Engel (1930).

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024


La Rue rouge (Scarlet Street). Réal : Fritz Lang ; sc : Dudley Nichols d’après Georges de La Fouchardière ; ph : Milton Krasner ; mont : Arthur Hilton ; mu : Hans J. Salter. Int : Edward G. Robinson, Joan Bennett, Dan Duryea, Margaret Lindsay (USA, 1945, 103 mn).



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